L'actualité de ces dernières semaines, qu'il s'agisse de la mise en scène du sacrifice médiatisé de Carlos Ghosn ou de la saga des Gilets jaunes, nous apprend tout d'abord que la tentative de contrôle de la communication et donc des médias n’est payable qu’à court terme. Cette tentative peut même entraîner un effet boomerang en cas de faille. Depuis les deux dernières décennies, les grandes entreprises (mais aussi les PME-PMI comme les start-up) verrouillent leur communication pour tenter de maîtriser leur information et leur image. Il y a dorénavant plus de communicants que de journalistes, et les premiers choisissent ce que les seconds peuvent savoir.
De même à l’Élysée, les médias ont subi récemment un contrôle plus accru de la parole présidentielle : l’accès des journalistes à la sortie du Conseil des ministres a été restreint, le déménagement de la salle de presse dans une annexe a été annoncé, le Président a directement mis en cause la presse dans son traitement de l’affaire Benalla. Cette technique du contrôle absolu de la communication a sans nul doute un effet bénéfique. Cependant, dès qu’une faille apparaît à la faveur d’une crise - et il y en a toujours-, les médias se précipitent pour se réapproprier le sujet et s’y accrocher, d’autant que le public reste friand de toute atteinte à l'image d’un puissant.
Le discours indispensable
Deuxième enseignement, l’image est fondamentale dans l’immédiat mais le discours reste indispensable dans la durée. La valeur essentielle de l’entreprise est son image et celle de son représentant légal. Cette image est fragile. À la suite de l’annonce de l’arrestation de Carlos Ghosn, le titre de Nissan a dévissé en Bourse de 12%. Il a été aussitôt annoncé que le conseil d’administration de Nissan se prononcerait rapidement sur le limogeage de son président. L’immédiateté de la réaction des actionnaires démontre bien que pour protéger l’entreprise, il est préférable de la dissocier de celui dont l’intégrité serait entachée.
L’image doit être éthique, ou au moins morale. Aujourd’hui, une entreprise ne peut plus se contenter de fournir de bons produits ou de bons services, et son chef ne doit plus se limiter à être un excellent stratège. Il est impérieux que l’entreprise et son chef adoptent un comportement irréprochable, au-dessus de tout soupçon. La prégnance de l’image à l’ère des réseaux sociaux ne fait pas disparaître la nécessité d’un discours.
Dans la durée, la place du discours est indispensable. Du fait des simples suspicions qui pèsent sur lui, Carlos Ghosn était déjà indéfendable aux yeux du public à cause du caractère pharaonique de sa rémunération. Cependant, il n’a pas définitivement perdu toute l’affection du public car son interminable garde à vue ne lui a pas encore permis de prendre la parole.
Côté Gilets jaunes, ce mouvement nous démontre que la viabilité d’une contestation est extrêmement dépendante à terme du discours qui l’accompagne. Si l’opinion publique a pu être sensibilisée par les images des Gilets jaunes, force est de constater que l’adhésion du public se dissout faute d’unité ou de cohérence du discours. Notons que la défiance des gilets jaunes vis-à-vis des médias n’a pas œuvré pour une clarification du message.
À l’inverse, on ne doit pas négliger la portée du discours présidentiel. Ce dernier et les annonces faites par le président Macron le 10 décembre 2018 ont eu manifestement un effet apaisant pour une bonne partie des manifestants. À contrario, cela signifie que le silence présidentiel entre l’acte IV et l’acte V du mouvement a pu sans doute provoquer un redoublement de la virulence des Gilets jaunes.
La gouvernance plus que les résultats
Autre point, un chef, qu’il soit d’entreprise ou d’une nation, n’est plus uniquement jugé sur ses résultats mais aussi sur sa gouvernance. Sa manière d’être reste un élément déterminant ; sa hauteur de vue, au demeurant indispensable au succès de l’entreprise, est dorénavant insupportable si elle se manifeste dans sa communication par une supériorité affichée.
Plus symptomatique, le président exécutif de Nissan a déclaré que les dérives imputées à Carlos Ghosn résultaient de son trop long règne. Il semble que le dégagisme qu'a connu récemment la classe politique est en train de toucher le monde de l'entreprise. Il est probable que nous nous dirigeons vers une plus grande précarité du statut de leader. L’exigence du caractère éphémère du pouvoir devra être intégrée dans la communication autour de la gouvernance.
Une relation triangulaire
Enfin, ces dernières semaines nous montrent bien que le défi de la communication s’inscrit durablement sur les réseaux sociaux dans une relation triangulaire. La communication ne peut plus se concevoir dans une approche binaire, d’un côté l’émetteur et de l’autre, le public. Il faut dorénavant impérativement compter avec un tiers que l’on peut appeler un rival ou un compétiteur car la manipulation par l’information grâce l’outil numérique est devenu notre quotidien.
Dans l’affaire Carlos Ghosn, l’alliance automobile Renault-Nissan-Mitsubishi Motors ne tenait que grâce à une clé de voûte, son PDG. En le paralysant (avec cette garde à vue japonaise reconductible à l’infini), Nissan a pu se débarrasser promptement de son ancien patron et s’émanciper de Renault. S’agit-il d’un effet d’aubaine pour Nissan ou le résultat d’une savante opération de manipulation ? Dans le mouvement des Gilets jaunes, les autorités françaises enquêtent sur de faux comptes internet destinés à amplifier sur les réseaux sociaux la contestation portée par les Gilets jaunes. Ce type d’intervention avait déjà été identifié lors de l’élection de Donald Trump en 2016.
Ces exemples tendent à montrer que les réseaux sociaux vont être systématiquement utilisés pour tenter d’influencer la situation d’un pays, la position d’une entreprise ou son image. Il appartiendra donc la direction de la communication d’anticiper ces phénomènes d’amplification, voire même de désinformation.