Chronique

Cela fait des mois que je nous réserve, chers lecteurs, un sujet qui me fascine et me rend optimiste… Un sujet qui fait plus que me résister, qui me reste étranger. Et pourtant des mois qu’il est dans ma vie, un casus belli familial certains week-ends et pourtant, j’en ai passé des heures derrière des écrans avant de me battre pour que mes fils y échappent...

Quel est le point commun entre l'équipe de France de football, la superstar du rap, Internet, les cours d’école, bambi et un Top 1 ? Fortnite. Un « battle royale », un jeu en ligne massivement multi-joueurs où une partie réunit 100 joueurs sur une île dont le but, seul ou en équipe, est d’être le dernier survivant. Un jeu violent donc, mais étonnamment plein de dérision, sans que jamais le sang ne coule.

Les chiffres sont ahurissants : 150 millions de joueurs en moins d’un an. Un jeu gratuit dont le modèle économique ne réside que dans l’achat d’accessoires, armes bien sûr mais aussi costumes (déguisements pizza ou équipe de foot) et danses (!). L’éditeur, Epic, propriété de Tencent, annonce plus de 100 millions de revenus par mois. Record du nombre de joueurs simultanés en novembre à 8,3 millions, comme si tous les Suisses décidaient de se réunir dans un stade. Le jeu a ses stars : Tfue, Mongraal, Tyler « Ninja » Blevins en particulier, dont les parties, certaines avec Drake (artiste le plus écouté de tous les temps avec plus de 50 milliards de streams) ou Travi$ Scott, autre star du rap, réunissent en direct plus de 600 000 spectateurs au milieu de la nuit.



Un nouveau Second Life

Mais je vous entends. Ce n’est pas la première fois, on les connaît les MMORPG, World of Warcraft, PUBG, etc. Vous avez déjà vu, vous savez même que ces joueurs ne sont désormais plus jamais exposés à aucune de nos publicités : ils ne regardent plus la télé, n’ont jamais lu la presse, ne pratiquent même pas les réseaux sociaux. Un autre monde, comme si le fameux Second Life qui a tant marqué l’histoire et la culture du web existait cette fois.

Alors je vais enfin vous dire pourquoi ce jeu de guerre me désarme, pourquoi je ne serai pas l’ennemi de cet autre monde dont je n’ai pas le passeport. D’abord, comment interdire à nos enfants ce qui ressemble à un moment de pop culture comme il en existe quelques-uns par décennie ? Comment comprendre des pratiques aussi éloignées des nôtres ? Je crois qu’il faut accompagner et que nous n’avons pas d’autre choix que de jouer et d’accepter que Mario et Lara Croft soient au mieux rétros. Accepter notre décrochage pour leur apprendre ce qui vaudra toujours : modération et variété mais compréhension et accompagnement, toujours.

Parce que je trouve Fortnite enthousiasmant. Découvrir les efforts d’enfants pour parler un anglais qu’ils n’ont pas appris afin de faire équipe avec un jeune Chilien, c’est une des promesses d’Internet que ces jeux semblent tenir. Accepter un jeu de guerre, avec une violence de parc d’attractions, ni plus ni moins, dans lequel des petits garçons sont heureux de jouer avec des «skins» de femme, étonnamment préférés aux profils bodybuildés, voici encore une bonne surprise et je n’aurais jamais pensé qu’un tel jeu le rende possible.



Danse avec les stars du foot

Mais je garde le meilleur pour la fin. Vous avez forcément vibré devant les matches de l’équipe de France, savez-vous qu’absolument TOUTES leurs danses – on dit «célébrations» – sont issues de Fortnite ? Du «L de loser» de Griezmann au déhanché d’Umtiti. Et là, j’adore. Les joueurs dansent et je défie toutes les générations de pères qui les ont précédés de dire que c’était mieux avant et qu’ils dansaient autant : oui, un jeu vidéo, un de ces trucs dont on se dit qu’il transforme les enfants en légumes et les empêchent d’avoir de meilleures activités a mis une génération d’enfants à la danse. Benjamin Millepied n’a pas immédiatement de souci à se faire ou à s’en réjouir, mais je retiendrai qu’une fois de plus, les promesses de l’Internet que j’aime ne sont pas forcément tenues où et par ceux dont on les attendait et nous aurons de bonnes surprises. Et malgré tout ce qu’on nous serine et nous sape le moral, je finis cette année optimiste. Vive cette génération cigale et fourmi, en ligne et déconnectée, à laquelle nous pourrons dire : «Vous jouiez ? j’en suis fort aise. Eh bien ! dansez maintenant».

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