Chronique

Tout va mal. Tout fout le camp. L’état du monde, dont les journalistes, les médias et l’internet se font l’écho, est désespérant. Les chaînes d’info relatent nos turpitudes avec empressement : la violence sévit partout, les libertés reculent, les minorités souffrent, les femmes voient leurs droits encore ou à nouveau contestés. Les ponts s’effondrent, des murs se dressent quand des immeubles s’écroulent, le climat déraille, la planète est à bout de souffle.

On va tous mourir.

L’effroi, la stupeur, le scandale attisent chez nous une irrésistible curiosité. Le feuilleton d’une actualité brûlante s’impose comme la martingale de la course à l’audience. Rien de nouveau, bien sûr. Qui s’intéresse aux trains qui arrivent à l’heure ? Aucune victime à déplorer dans une catastrophe qui n’a pas eu lieu… Aucun mort par infection depuis des années dans cette région insalubre où les progrès techniques ont permis de purifier l’eau. Des centaines de millions de pauvres en moins sur cette terre en trois décennies… L’analphabétisme réduit inexorablement partout sur la planète… Les pandémies évitées, l’espérance de vie en hausse, la mortalité infantile en baisse… Tout cela n’intéresse pas les médias. Le climat qui domine est si mortifère et si négatif que nombreux sont celles et ceux qui renoncent à écouter les infos.



Une musique légère dans le chaos et la misère

Steven Pinker (1), dans son ouvrage intitulé Le Triomphe des lumières, établit ce constat. Il dresse de notre civilisation un bilan sans naïveté. Mais il souligne l’écart entre ce qui est diffusé, connu, perçu et l’épreuve des faits, les données froides, les progrès lents et réguliers qui ne font pas les unes mais donnent à lire une version plus optimiste de notre avenir. Cela conduit à questionner le rapport qu’entretiennent l’information et la publicité (2). Selon la fameuse formule : « Là où la première semble regarder le monde tel qu’il est, la seconde imagine le monde tel qu’il devrait être… »

Ainsi, dans le même flot de bruit et de fureur, au fil des réseaux sociaux qui hystérisent ce phénomène 24 h/24, la publicité, pour tenir son rôle d’activateur des ventes et du commerce entre les Hommes – aux fondements de nos civilisations –, s’en tient à annoncer de bonnes nouvelles. Elle répond à nos désirs, comme essence de toute chose. Elle déclare que le monde est beau, célèbre des gens heureux et souriants, des familles idéales qui mangent cinq fruits et légumes par jour, des minorités qui s’assument, alors que règnent alentour le chaos et la misère.

Elle fait entendre une musique légère quand un drame, chassant l’autre, sonne le glas de notre civilisation. Elle aspire à une vie facile et ignore les douleurs et les peines. Elle nous soumet à la tentation, mais face à l’éditorialisation dramatique de l’actualité, elle nous culpabilise : comment jouir de la vie quand on nous martèle que tout va si mal, quand la souffrance de la minorité qui n’a pas pris le train du progrès devient insupportable ?



Accusée de bourrage de crâne

Cette tension entre une fiction dystopique, présentée comme une réalité, et l’artifice de l’image publicitaire suscite une défiance – une de plus – dont nos métiers souffrent. Le monde, qu’on nous annonce dès le réveil, flatte les passions tristes. La publicité tient un autre discours et n’a de cesse de défendre les passions joyeuses. C’est son crime, c’est sa croix. Elle passe pour une marchande de chansons au mieux écervelée, au pire totalement cynique. On l’accuse de nous bourrer le crâne, alors qu’elle nous raconte une belle histoire. On lui fait le reproche de la superficialité, mais gardons-nous des profondeurs que n’atteignent jamais les rayons du soleil.

Non, la communication ne dit pas n’importe quoi, elle veut nous réchauffer le cœur, elle nous invite à l’optimisme et au bonheur qu’elle instille dans un corps social KO sous les coups au moral assénés chaque jour. N’en déplaise à ses pourfendeurs, elle est d’utilité publique. Antistress, antidouleur, antidépresseur, elle devrait être remboursée par la Sécurité sociale.

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