Chronique

La semaine dernière se tenait à Orlando la conférence annuelle « Masters of marketing » de l’Association of National Advertisers américaine, à laquelle assistent un nombre impressionnant de CMO (chief marketing officer) d’entreprises américaines. La session la plus provocatrice s’appelait « Fire your CMO ». C’est aussi celle qui a attiré le plus de monde. On doit ce propos à Terry Kawaja, de Luma Partners, banque d’affaires spécialisée dans les médias et le digital marketing, un très bon connaisseur du secteur. Kawaja a comparé la façon dont les nouveaux entrants du D2C (direct to consumer) font du marketing (comme Dollar Shave Club) par rapport aux anciens acteurs (P&G).

Des comparaisons un peu faciles. Le rôle n’est pas du tout le même d’un cas à l’autre, ce que résume bien la différence de titre : chez les nouveaux acteurs, le CMO s’appelle chief growth officer. Les entreprises axées sur le D2C ont une approche très différente du marketing, des compétences que doit avoir le chef de projet aux outils déployés, et aux incitations mises en place. De nouvelles approches du média, de la data et de la tech que les marketeurs traditionnels peuvent s’approprier.

 

Incompréhension grandissante

Mais ce serait faire un faux procès aux CMO des acteurs classiques que d’imaginer qu’ils ne comprennent pas le nouvel ordre des choses, qu’ils seraient incompétents et donc « virés » si souvent. Quittons un instant le meeting annuel de l’ANA et lisons un article de la Harvard Business Review dont on a pas assez parlé en France il y a un an : « Why CMO never last », de Kimberly A.Whitler et Neil Morgan. Le point clé de cet article étayé est qu’il y a une incompréhension mutuelle et grandissante entre les CEO et les CMO. Une étude documentée de 2012 avait montré que pas moins de 80% des CEO ne font pas confiance et ne sont pas impressionnés par les compétences de leur CMO. Pour seulement 10% envers le CFO (chief financal officer) par exemple. En réponse, d’après l’étude de Harvard, 74% des CMO considèrent que leur fiche de poste ne leur permet pas de maximiser leur impact.

Les CMO restent en moyenne 4,1 ans dans leur rôle (étude Korn Ferry) contre 8 ans pour le CEO. L’étude de Harvard montre que ce délai s’est encore raccourci : 57% des CMO restent 3 ans ou moins. Alors pourquoi ? Est-ce, comme le prétend Kawaja, parce que les CMO sont dépassés par les évènements ? La conclusion de l’étude de Harvard est très différente : le taux énorme de turnover des CMO reposerait sur une définition ambiguë du poste par les cabinets de chasseurs de têtes et les CEO donneurs d’ordre. Quand les responsabilités, les attentes et les mesures de performance ne sont ni réalistes ni alignées, cela met en position tout CMO, même le meilleur, à échouer.

 

Trois visions concurrentes

Une série de questionnaires ainsi qu’une étude sur les profils Linkedin des CMO et des postes ouverts ont révélé la coexistence de trois visions concurrentes du CMO : celle où il se concentre sur la stratégie (innovation, insight consommateur, design produit), une autre sur la commercialisation (communication, moyens moteurs, publicité, contenus, social media, promotions, events) et une dernière où il fait les deux (de l’innovation au design produit, des ventes, de la distribution, du pricing jusqu’au achats médias et à la communication/contenus, avec un fort angle data). Le trouble viendrait du fait que ces trois visions coexistent et qu’on ne sait pas à quoi on a affaire au moment de l’embauche d’un CMO, ni ce qu’on veut. On embauche un profil de type 3 alors qu’on cherchait à assigner une mission de type 1, etc. C’est dommage, et c’est sans doute là qu’on rejoint la session provocatrice d’Orlando : au fond, dans les entreprises fondées sur le direct to consumer, le rôle de chief growth officier permet de préciser beaucoup plus ce dont il est question et correspond à la définition la plus large du rôle d’un CMO. Le terme de croissance est plus net, concret et engage beaucoup plus de responsabilités que le terme de marketing, devenu flou avec le temps.

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