Tribune
Influencées par l'explosion des réseaux sociaux et la multiplication des nouveaux concepts en anglais, les marques utilisent de moins en moins la richesse de la langue française dans leur communication. Au risque d'une perte de sens qui peut leur être néfaste.

Dégoût du sans goût, du tout sucré ou du tout salé, du snack à la sauce internationale mais aussi prise de conscience du danger pour la santé, de la perte des repères culturels et familiaux. Après des années de fast-food, de plats industriels, d’adjuvants ou de compléments alimentaires de tous poils, la vraie cuisine et le fait maison sont de retour, et le bio s’impose. Ce renouveau culinaire n’a malheureusement pas atteint la langue et l’écriture, qui plongent aujourd’hui dans les délices de la malbouffe éditoriale.

Éblouies par la révolution digitale, influencées par la langue anglaise qui produit des concepts nouveaux en permanence, avec des raccourcis que notre langue permet moins, contraintes par 140 caractères généreusement élargis à 280, conduites à la redondance perpétuelle par le diktat du SEO, amusées par l’emploi d’émoticônes, les marques produisent avec fierté du « snack content » dans des « content factories ».

Ces dernières « imaginent » une nouvelle écriture scientifique avec des « ingénieurs » éditoriaux, d’autres nous concoctent des robots journalistes, toutes nous promettent avec une certitude toute commerciale des contenus riches et intéressants. Elles nous vaccineront, sans nul doute, contre l’infobésité (un raccourci en français) et permettront le ROI tant espéré grâce à « l’inbound marketing » et au triptyque « paid, earned, owned ». J’en oublierais presque l’intrusion soudaine de l’écriture inclusive, tribut que d’aucuns considèrent comme indispensable à l’égalité des sexes.

Des contenus sans angle

Le résultat est un appauvrissement généralisé de la langue dans les entreprises et les organisations, avec pour suite logique des contenus sans angle, maltraités (et mal traités) par les contraintes du SEO et des réseaux sociaux. Au total, une perte de sens, de subtilité et de richesse dans l’expression, donc dans la pensée. Car c’est bien de la pensée dont il est question, indissociable du langage, afin de ne pas tomber dans la « novlangue ». Cette simplification n’est pourtant pas dans les gènes de la publicité française, qui sait avec brio allier la créativité graphique avec la finesse d’esprit de la conception-rédaction. Ce n’est pas au moment où notre société devient de plus en plus complexe, technique et scientifique, que nous devons perdre en capacité de compréhension, d’analyse et de description. Alors qu’un consensus se fait dans la société pour respecter, informer sincèrement et écouter les citoyens et les consommateurs, il est important de ne pas les infantiliser et les manipuler avec des raccourcis simplistes sous prétexte de se mettre à leur niveau.

Discrimination sociale

La discrimination sociale tant conspuée n’est que renforcée par cet affadissement intellectuel qui ne permet qu’à ceux qui ont la chance d’avoir « une rente de situation », comme disait Georges Marchais, de rattraper cette insuffisance béante. Qu’on se rassure : pour communiquer sans dégrader son message, un mot existe, vulgariser. Les esprits chagrins diront que parler au vulgaire est un brin condescendant, mais nous parlons justement la langue vulgaire depuis quelques centaines d’années. Elle est faite pour communiquer largement, elle est imagée, elle sait emprunter, elle n’exclut ni la précision, ni l’efficacité produite à coup sûr par la rhétorique ou les jeux de mots.

Alors revalorisons notre cuisine éditoriale pour redonner du plaisir et du sens, avec une écriture accessible, précise et variée, en français, sans toutefois rejeter les apports extérieurs qui ont toujours enrichi les langues et les cultures. Mais rejetons résolument cette malbouffe éditoriale indigeste, sans exigence ni talent, dans l’intérêt à long terme des marques et des organisations, qui trouveront in fine leur compte dans des contenus « premium » pour tous.

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