Le constat d’une capacité d’influence croissante des parties prenantes sur les organisations par le biais des réseaux sociaux est aujourd’hui largement partagé. Or, à la démocratie 2.0 annoncée a en réalité succédé un régime ressortant davantage de la prépondérance des multitudes, des rumeurs, du tumulte et de l'imprévisible. Si le propre des relations publiques est de produire du consentement, on assiste aujourd’hui à l’affaiblissement du consensus ainsi qu’à la disparition de l’indifférence qui encadrait jusqu’ici les activités de nombreux secteurs.
L’émergence du véganisme, à titre d’exemple, n’est que l’un des avatars les plus emblématiques de ce mouvement de remise en cause de ce qui était, hier encore, indiscutable. La fronde anti fake meds, impulsée par des acteurs du monde de la santé, n’est qu’une variante sectorielle de ce phénomène.
Dans ce cadre, le retour à la "normale", c’est-à-dire au consensus visé par les communicants, semble devenir de plus en plus inatteignable. Plus que jamais, chaque acteur, chaque organisation est le porteur d’une cause à défendre. Face à cette situation, l’illusion du consensus, qui a pu par moment bercer la communication corporate, vole en éclats.
Bataille des narratifs
Conséquence de ce nouvel état de fait, la communication corporate s’apparente de plus en plus à de la communication politique. Bataille des cœurs, concurrence des narratifs ou encore influence auprès d’un acteur décisif: comme en communication politique, il s’agit d’identifier les forces et les faiblesses du camp opposé pour répondre point par point aux argumentaires opposés, pointer les faiblesses narratives et imposer sa propre grille de lecture.
Cette bataille des narratifs, cette guerre des mots est plus que jamais l’alpha et l’oméga de la communication. La capacité à imposer un narratif en phase avec ses intérêts immédiats et calibré en fonction d’audiences ciblées est centrale. C’est à l’aune de cet état de fait que le digital et la data revêtent une importance stratégique.
En parallèle, il s’agit de reconnaître et de recruter des alliés dans son écosystème. C’est cette capacité à mettre au jour les acteurs tiers, que ce soient des universitaires, des fact checkers, des élus ou encore des décideurs locaux, qui est facilitée par la data et le croisement de sources.
Mesurer le poids des discours
Alors que de nombreux secteurs économiques sont confrontés, de manière plus ou moins consciente, à la conflictualité narrative, les organisations ne peuvent se permettre d’ignorer cette configuration dans leurs stratégies de communication.
Les réseaux sociaux renforcent la compréhension des mécanismes d’influence. Par exemple, l’analyse sémantique permise par les algorithmes de traitement du langage met au jour les lignes de front délimitant les différentes zones d’influence des parties prenantes. La data permet de mesurer le poids des discours, d’analyser la capacité d’un narratif à transformer une structure sociale donnée, mais également d’étayer des logiques de containment voire de contre-influence. Ce vocabulaire inspiré des traités de stratégie sied parfaitement au schéma communicationnel prévalant à l’ère des réseaux sociaux.
Le recueil de données permet d’accorder le temps nécessaire à la phase de cadrage de la communication, pour mettre au jour les différents mécanismes d’ingénierie sociale propres aux écosystèmes ciblés. Aussi, à l’inflation - plus ou moins pertinente - des dispositifs digitaux et à l’accumulation des indicateurs vides de sens, les organisations doivent désormais privilégier l’élaboration d’une stratégie d’influence fondée sur la connaissance la plus fine possible de leurs parties prenantes.
Dispatching du contenu
En termes de stratégie content, le croisement de données (réseaux sociaux et bases de données administratives par exemple) permet d’allier une appréhension fine des forces en présence couplée à une grille de lecture qui accorde toute son importance au fait local et à la composante socio-démographique. Dans le cadre d’une stratégie d’influence, la disparité des acteurs et des populations ciblées implique de facto un dispatching du contenu en phase avec ces spécificités identitaires.
La multiplicité d’acteurs impliqués, les caractéristiques techniques des réseaux sociaux et l’hyper-politisation discursive rendent illusoires les coups de spin du XXe siècle qui permettaient, à grand renfort de mass media, de changer l’état de l’opinion sur un sujet et/ou un produit.
Pour défendre un sujet, il doit y avoir aujourd’hui autant de discours que de (sous-)catégories communautaires. La data permet d’identifier ces sous-ensembles et de contribuer au framing des différents axes de discours. Sa dimension analytique apparaît d’autant plus stratégique dans le cadre de la défense des citadelles assiégées économiques de nos sociétés contemporaines, et permet aux relations publiques de se réinventer sans pour autant se perdre dans les méandres de la digitalisation.