Il y a deux types d’été singuliers : celui qui voit les JO se profiler et celui qui regarde s’ouvrir la Coupe du monde de football. Ces deux événements sont parmi ceux qui drainent une ferveur hors du commun et (re)tissent un lien social qui aurait pu se déliter. Mais ils sont aussi ceux qui génèrent les audiences les plus importantes, et par voie de conséquence, les business les plus prolifiques. Faut-il s’en plaindre, s’en méfier ou s’en moquer comme de l’an deux ?
S’en plaindre… chacun apportera son propre son de cloche. S’en moquer… serait faire fi de l’importance de rendez-vous sportifs de cette ampleur dans l’intimité d’une immense majorité de citoyens du monde mais, à nouveau, relève de la perception personnelle de chacun. En revanche, s’en méfier apparaîtrait comme plus raisonnable… Revue de détails.
Le 29 mai dernier, la Ligue de football professionnel a rendu son verdict, délestant Canal+ de l’entièreté des droits de la Ligue 1 dont elle était, plus ou moins, pourvue depuis sa création, en 1984. MediaPro, groupe espagnol contrôlé par un fonds chinois, a en effet raflé la mise en promettant à la Ligue la création d’une chaîne dédiée dans l’hexagone. Coût de l’opération : 1,153 milliard d’euros par saison, soit un total de 4,613 milliards d’euros pour la période 2020-2024. La France devenant ainsi le troisième pays européen doté des droits les plus onéreux derrière l’Angleterre (2.3 milliards d’euros par saison) et l’Allemagne (1,16 milliard d’euros par saison).
Nouvelle ère pour le haut niveau
Moins de quinze jours plus tard, à 48 heures de l’entrée en lice des Bleus en Coupe du monde, fin de suspens pour Antoine Griezmann qui dévoilait son choix de rester à l’Atlético Madrid la saison prochaine. Pour ce faire, le meneur de jeu du onze tricolore n’a pas partagé un communiqué lapidaire ou n’est pas intervenu dans un point presse mené tambour battant, comme il est usuel de le faire en pareille situation. Non… c’est à travers un 26 minutes produit par Gérard Piqué (défenseur du FC Barcelone), digne des meilleurs programmes de télé-réalité, que l’orfèvre français a partagé son choix.
En moins de deux semaines, le football, sport le plus pratiqué et populaire du monde, a partagé des signaux très en marge du sport et en plein dans les jongleries à coups de centaines de millions d’euros. Alors… est-ce le début de la fin ou la fin du début ?
Qu’une certaine forme de pratique du football professionnel se soit volatilisée depuis vingt ans, c’est une certitude. Le football amateur, lui, est de loin le plus pratiqué, continuant, chaque dimanche, à animer les terrains du monde entier. Nous pourrions donc légitimement penser que nous vivons la fin d’un début et l’ouverture d’une ère nouvelle du sport de haut niveau.
Des valeurs à préserver
Pour autant, le sport et ses valeurs universelles devront, coûte que coûte, être préservées. Pourquoi nous souvenons-nous d’Armel Le Cléac’h qui gagne le dernier Vendée Globe ou, plus loin dans le temps, de Séville en 1982, de Yannick Noah en 1983, de l’Euro 84, des médailles d’argent et d’or de Franck Piccard ou d’Edgar Grospiron en 1992 aux JO d’hiver, de France 98, de Federer et de Nadal, du quart de finale de la Coupe du monde de rugby entre la France et la Nouvelle-Zélande en 2007, etc. Aucunement parce que ces sportifs étaient milliardaires ou collés à un fil Twitter. Mais parce qu’ils racontaient des histoires qui emmènent loin, font rêver, pleurer, hurler ou rester silencieux. De celles qui vous collent des souvenirs pour toute une vie et qui permettent à tout un chacun de toucher du bout du doigt… l’abnégation, l’engagement et une certaine forme de vérité.
L’avenir du sport de haut niveau se jouera sur tous les terrains de jeu, mais aussi sur les terrains politique et idéologique. Et ce, afin d’entamer les débats nécessaires sur la place de l’argent et des technologies dans les pratiques sportives professionnelles qui, elles, n’ont jamais réussi à raconter d’aussi belles histoires que les yeux de Zinédine Zidane ou d’Emmanuel Petit après avoir marqué trois buts face au Brésil, le 12 juillet 1998. Bel été !