Le 3 mai dernier, Bruno Lemaire a présenté au Conseil des ministres son Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dite Loi Pacte. Entre autres réformes, le texte devrait aboutir à une modification des articles 1833 et 1835 du code civil, définissant ce qu’est l’entreprise. Si la formulation proposée ne va pas aussi loin que le préconisait le rapport Notat-Senard, publié en mars, elle entérine une mutation profonde du rôle et des responsabilités qui incombent à l’entreprise. Autrefois structures à vocation financière, celles-ci sont aujourd’hui invitées à se «doter d’une raison d’être non réductible au profit», à «intégrer dans leurs décisions les conséquences que fait peser leur activité sur l’environnement et la société», à devenir des «objets d’intérêts collectifs».
Cette mutation, nombre d’entreprises l'ont déjà entamée, comme en témoigne l’évolution des rapports d’activités, ces publications annuelles stratégiques éditées en marge du document de référence par (presque) toutes les entreprises du CAC 40 et du SBF 120. De supports dédiés à l’annonce des résultats et aux succès de l’année écoulée, ces derniers se sont peu à peu transformés en rapports de responsabilité d’entreprise ou en rapports d’activité et de développement durable.
Mêle court et long terme
Avec l’introduction du rapport intégré il y a quatre ans, les entreprises ont franchi un cap. Venu des pays anglo-saxons, ce mode de reporting articule vision de long terme et stratégie de court terme, mêle étroitement données économiques, sociales et environnementales comme autant d’indicateurs de la durabilité de l’entreprise. Il invite celles-ci à livrer leur appréhension singulière des grandes mutations qui transforment leur secteur et à écouter, pour cela, les attentes de leurs parties prenantes: collaborateurs, clients, actionnaires, mais aussi générations futures, territoires et membres de la société civile.
C’est à l’aune de ces attentes que se mesurent la pertinence de leur business modèle, l’efficacité de leur stratégie, l’impact de leurs actions, dans une perspective de long terme qui dépasse l’horizon annuel. L’entreprise se voit ainsi obligée de formuler cette fameuse «raison d’être non réductible au profit». Entre 2014 et 2017, le nombre d’entreprises publiant un rapport intégré n’a cessé d’augmenter et ceux qui n’ont pas encore adopté la dénomination s’en sont inspirés pour mieux expliquer leurs choix stratégiques et la valeur ajoutée apportée à la société.
Mieux valorisée
Un constat cependant peut surprendre: ce reporting, de plus en plus ouvert au monde et aux parties prenantes de l’entreprise, s’adresse toujours aux mêmes publics qu’il y a 10 ans. Pourquoi cette publication qui synthétise la place que l’entreprise souhaite assumer au sein de la société n’est-elle pas mieux valorisée auprès de tout ceux qui, de près ou de loin, sont impactés par son activité? Pas par manque d’intérêt: le rapport Notat-Senard le souligne, les attentes de la société à l’égard des entreprises sont de plus en plus fortes. L’Observatoire des marques dans la cité montrait même que pour 60% des Français, «les entreprises ont aujourd’hui un rôle plus important que les gouvernements dans la construction d’un avenir meilleur».
Si les rapports annuels et intégrés peinent encore à rencontrer leur public, c’est qu’ils tombent souvent dans deux écueils. Celui de l’extrême expertise qui rend leurs contenus difficilement accessibles à ceux qui ne pratiquent pas au quotidien l’étude des business modèles et des indicateurs chiffrés. Ou celui de l’extrême vulgarisation, qui livre une image idéalisée, mystifiée de l’entreprise, incitant le lecteur à la méfiance.
C’est probablement sur l’étroite ligne de crête entre ces deux tensions que se situe le juste positionnement du rapport annuel intégré: suffisamment rigoureux pour livrer une image transparente de l’entreprise, assez narratif pour capter l’attention de publics non avertis. Poussés par une stratégie de diffusion adaptée aux attentes des audiences, ces contenus pourraient – devraient – alors s’adresser non plus seulement aux quelques milliers d’actionnaires, de partenaires, de collaborateurs directement associés à l’entreprise, mais aux centaines de milliers de consom’acteurs, de candidats ou de simples curieux qui souhaitent comprendre les entreprises qu’ils côtoient au quotidien. L’Oréal mise ainsi sur la qualité des contenus de son rapport d’activité pour toucher un public élargi. Deux mois après sa sortie, le site de l’édition 2017 comptabilisait déjà 200 000 vues à travers le monde.