C’était en mai 1997. Le champion d’échecs Gary Kasparov était vaincu par un programme, Deep Blue. Vingt-et-un ans plus tard, l’intelligence artificielle guide nos choix et notre consommation, et la mort de la créativité est annoncée, comme s’il fallait choisir. On soupire volontiers la fin des agences, la fin des grandes campagnes ; nos cibles restent, elles, bien humaines. Nous entrons dans le « second âge des machines », tel que l’ont défini les économistes Brynjolfsson et McAfee : après avoir aidé l’être humain à se dépasser physiquement, nous allons dépasser nos limites intellectuelles. Et le moment où l’intelligence artificielle va pénétrer toutes les couches de l’économie est tout proche, selon Laurent Alexandre.
Pour les communicants en tout genre, c'est une opportunité massive qui émeut plus les start-up que les agences. La technologie nous offre un réservoir de nouveaux consommateurs quasiment inépuisable. Grâce aux données et à leur traitement, il n'existe pas de produit qui ne puisse trouver son marché, si celui-ci existe. Aux communicants d’aller adresser ce marché, qui sera diffus géographiquement, éthniquement, mais réel.
Un même produit ou service peut déjà faire l’objet de créations différentes pour adresser des catégories différentes. Une même marque pourra dorénavant adresser tout le monde. Quand on peut cibler dans le détail extrême, on n’a plus peur de « dérouter » le troisième âge avec un contenu disruptif, novateur, voire offensant. La technologie offre des outils qui permettent de faire disparaître à jamais le cadavre de la pub consensuelle, et souvent incolore et inodore.
« Quantity becomes quality »
Bientôt, il sera possible de passer du temps sur la création biologique, grâce aux cerveaux connectés par Elon Musk. Grâce aux données recueillies sur notre sommeil via un bracelet connecté, on pourra également intervenir sur les rêves. Au-delà des questions éthiques que cela soulève, il faudra s’intéresser à la création associée à ces nouveaux points de contact.
En attendant, la technologie permet de traiter plus de données qu’aucun cerveau. « Quantity becomes quality », a commenté le champion d’échecs pour expliquer les compétences de Deep Blue. Des robots de plus en plus intelligents vont nous aider à prendre des décisions de plus en plus compliquées, remplacer des métiers à faible et à forte valeur ajoutée. Parmi les métiers qui seront les plus difficiles à remplacer, selon l'université d'Oxford, ceux touchant à la créativité et à l’intelligence des situations humaines.
La publicité est l’art de faire appel aux émotions. En économie de marché, la concurrence oblige à créer de l’attachement à la marque pour se distinguer. Tant que nous continuerons de nous adresser à des humains qui ressentent des émotions décisives, il faudra se montrer plus créatif que ses concurrents. Créer de l’empathie, réfléchir à l’émotion est un travail inépuisable. Les consommateurs/citoyens sont désormais 65% à faire confiance aux grandes entreprises pour « améliorer l’état du pays », selon un sondage Opinionway pour Eclosion.
À l’heure de l’algorithme démiurge, jamais les émotions et la prise sur le monde n’ont eu un rôle aussi important dans l’acte de consommation. Elles font et défont une marque, une cause ou une communauté en quelques heures. Dans une tribune publiée à l’occasion des vingt ans de sa « défaite », Kasparov écrivait : « Les machines intelligentes vont continuer d’avancer (…) nous permettant d’orienter nos vies intellectuelles en les consacrant à la créativité, à la curiosité, à la beauté et à la joie. » Tous les métiers de la communication seront impactés par la technologie ; le premier défi des marques sera alors de mettre la créativité au service des consommateurs.