Tribune
Dans un avis rendu le 6 mars 2018, l'autorité de la concurrence estime que le développement du secteur de la publicité sur internet s’est fait sans véritablement tenir compte des contraintes légales et notamment du droit de la concurrence. Après avoir joué le rôle de pédagogue, elle pourrait aujourd'hui prendre sa casquette de gendarme.

En quelques années, un nouvel écosystème s’est développé, faisant désormais de la publicité digitale le premier média publicitaire, devant la télévision, qui avait toujours occupé cette place. La publicité en ligne a connu une très forte croissance et vu l’apparition de nouveaux métiers correspondant à des innovations technologiques sophistiquées. En moins de dix ans, la publicité digitale, et en particulier la publicité programmatique, est passée d’un média classique à un média très différencié, en raison des possibilités techniques de personnalisation et d’affichage en temps réel des messages, ainsi que du rôle joué par les internautes.

En dépit du foisonnement de nouveaux acteurs sur ce marché, venant complexifier le classique rapport triangulaire annonceur-agence-support, il apparait que deux acteurs captent l’essentiel de cette croissance et des revenus du secteur (90%). C’est sans doute ce constat qui a alerté l’Autorité de la concurrence (ADLC) et l’a motivée à se pencher à nouveau sur ce secteur à l’équilibre concurrentiel fragile. L’ADLC, qui s’était saisie d’office le 23 mai 2016, a rendu, à l’issue d’une consultation publique, son avis sur le secteur de la publicité sur internet le 6 mars 2018, huit ans après un premier avis du 14 décembre 2010. Ce faisant, l’ADLC se montre fidèle à sa mission pédagogique, puisqu’elle inscrit ses travaux dans le cadre d’un avis consultatif et non d’une procédure contentieuse, qui pourrait déboucher sur des sanctions.

Limites de l’exercice

L’ADLC se livre à une analyse minutieuse de l’écosystème en décrivant les rôles des différents acteurs: ad exchange, DSP, SSP, trading desks, fournisseurs de data ou de mesures d’audience, aux côtés des acteurs traditionnels que sont les agences média. L’Adlc ne se contente pas d’analyser ce secteur au prisme du droit de la concurrence, même si elle consacre de longs développements à la question délicate des marchés pertinents : search/display, intermédiation, exploitation des données, réseaux sociaux.

Elle relève également l’importance de l’exploitation des données personnelles et de la collecte et du traitement des data en général, et rappelle l’existence de la loi Sapin qui, depuis 25 ans, encadre le marché de l’achat d’espaces publicitaires, en insistant sur la question de la transparence, qui a donné lieu au décret du 9 février 2017 sur l’obligation de reporting dans le secteur digital.

Mais une fois cette description effectuée et les bases d’une analyse concurrentielle jetées, l’ADLC rappelle les limites de l’exercice auquel elle se livre. Elle considère que le dynamisme du secteur recèle des fragilités et identifie un certain nombre de pratiques, relevées au cours de l’enquête, qui seraient susceptibles d’appartenir à des catégories régulièrement appréhendées par les autorités de concurrence (stratégies de ventes liées ou de prix bas, abus de domination sur certains marchés impactant d’autres marchés, traitements discriminatoires dans le secteur de l’intermédiation, restrictions à l’accès aux données).

Des enquêtes lancées

Néanmoins, elle ne se prononce pas sur leur licéité, rappelant le cadre d’une procédure consultative et la nécessité d’un débat contradictoire avec les parties mises en cause, que seule une procédure contentieuse rend possible. L’avertissement est pourtant clair. Le développement du secteur s’est fait sans véritablement tenir compte des contraintes légales et notamment du droit de la concurrence.

Mais après avoir passé presque deux années à analyser le secteur et les pratiques qui s’y sont développées, l’ADLC annonce son intention de troquer sa casquette de pédagogue pour celle de gendarme. D’après les dernières annonces de l’ADLC, des enquêtes auraient déjà été lancées, qui pourraient déboucher sur une auto-saisine. Les deux acteurs dont les noms émaillent les 120 pages de l’avis doivent se sentir visés.

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