Étonnamment, le scandale Cambridge Analytica n'a pas fait les gros titres en Chine. Pour une raison simple: les Chinois savent que leurs données sont de toute façon déjà enregistrées. Personne ne sera surpris là-bas d’apprendre un jour que chaque conversation est surveillée par le gouvernement. Les médias sociaux en Chine ne connaîtront donc jamais les mêmes crises de confiance que Facebook aujourd’hui, tout simplement parce que personne ne leur fait confiance au départ.
La réputation de Mark Zuckerberg est même probablement meilleure en Chine qu'aux Etats-Unis, même si Facebook, comme les autres plateformes sociales occidentales, y est interdit. La raison n’est pas à chercher du côté d’une possible influence néfaste de Facebook, ni de la méfiance des Chinois vis-à-vis de l’Occident. Le boycott s’explique davantage par la volonté de créer un environnement où les plateformes chinoises natives peuvent prospérer.
Parmi ces plateformes nées en Chine, WeChat domine clairement. Le réseau social a su anticiper et répondre aux besoins de ses utilisateurs pour devenir à lui tout seul à la fois un Facebook, un WhatsApp, un Facebook Messenger et un Paypal. Sa stratégie est riche d’enseignements pour les médias sociaux: la plateforme s’est d’abord constituée une solide base d'utilisateurs, avant de se doter progressivement de fonctionnalités utiles à leur quotidien, jusqu'à proposer une plateforme de paiement intégrée.
Jusque-là, les Chinois n’étaient pas habitués à la messagerie vocale. L’arrivée des Voice notes de WeChat, des courts messages enregistrés de moins d’une minute, a eu un grand impact sur leur façon même de communiquer, et a contribué à installer durablement WeChat sur le marché. Aujourd’hui, 26% du temps passé par les Chinois sur leur téléphone est consacré à ce réseau social. Autre exemple, la fonction Moments, permettant d’échanger des "moments de vie". Elle aussi a su prendre en compte les attentes des utilisateurs en matière de confidentialité des publications. Elle propose ainsi des cercles très fermés d’amis, ultra-privés, où vous ne pouvez voir que les commentaires des personnes auxquelles vous êtes connectés. Cela ne répond pas tant à la question de ne pas être surveillé qu’au fait que vous ne voulez pas que le monde entier tombe sur le dernier commentaire de votre mère.
Il existe bien sûr d'autres plateformes en Chine, que les marques s’empressent d'expérimenter: Weibo, l'équivalent de Twitter, Baidu, de Google, Tencent Video et Soni Video, des plateformes de vidéos courtes. Le marketing de WeChat, lui, est beaucoup plus élaboré, et les marques investissent ce terrain déjà depuis plusieurs années. Certaines marques de luxe comme Michael Kors ou Beats y dépensent même 60 à 70% de leur budget publicitaire. Aujourd’hui, quand les consommateurs veulent découvrir une marque, ils se rendent instinctivement sur WeChat, plus personne ne se dirige vers les sites web. Sur la plateforme, un compteur affiche le nombre de vues des posts, un indicateur devenu en Chine un standard en marketing.
Les publications qui retiennent l’attention sont celles qui proposent un contenu plutôt long (trois minutes), bien conçu et engageant. Les marques et les agences doivent donc fournir en amont un important travail de production de contenus et de design, afin de créer une identité de marque élégante. Pour éviter que ses utilisateurs se sentent spammés, WeChat limite les messages de marque à une par semaine en public, et une par jour pour les abonnés actifs. Des pratiques dont les médias sociaux occidentaux devraient s’inspirer en privilégiant leurs utilisateurs et leurs besoins, particulièrement au moment où Facebook a été fortement critiqué pour avoir privilégié son propre agenda au détriment de l'expérience utilisateur.