Les passions tristes des années 40 reprennent une nouvelle jeunesse avec les réseaux sociaux bien nommés « les réseaux de la colère ». Protégés par un douillet anonymat, certains esprits sectaires et jaloux peuvent ainsi laisser libre cours à leur penchant pour l’accusation, l’ostracisme, la délation et l’indignation haineuse le plus souvent au nom d’une moraline(1) puritaine et totalitaire.
Poignée de délateurs minoritaires (en novlangue, lanceurs d’alerte) qui bénéficient ainsi d’une considérable caisse de résonance, inversement proportionnelle a leur poids réel, mais qui influencent et terrorisent l’ensemble des émetteurs qu’ils soient médias, annonceurs ou agences. Émetteurs qui s’imposent, en conséquence, une auto-censure de plus en plus prégnante pour éviter d’être rattrapés et mis au pilori par la patrouille de la police de la pensée dont ils pensent qu’elle est potentiellement briseuse de réputation.
Ne pas cliver, ne pas choquer, ne pas discriminer, ne pas caricaturer, ne pas se moquer, ne pas sortir du lot et in fine ne surtout pas se faire remarquer seraient donc devenus les nouveaux leitmotivs de la communication publicitaire, qui ne fabriquerait plus que du consensus mou.
Hashtag vengeur
Quand l’oiseau bleu bat des ailes, les communicants tremblent. La peur de voir le nom de sa marque accolé à un hashtag vengeur a dépassé la peur de ne pas vendre son produit. Ce ne sont plus les courbes de vente qui sont scrutées sur les réseaux mais les courbes de tolérance.
Aujourd’hui, en publicité, la priorité est d’être toléré et aimé avant d’être acheté, d’où l’abondance de ces communications de posture de la part de marques tartuffes, qui, à défaut de vendre et de présenter des offres concrètes, privilégient le pipeau, la flagornerie et la démagogie. « Aimez-moi car je pense et suis comme vous » pourrait être la signature de tous ceux qui considèrent qu’en étant complice, poli et bien conventionnel, on s’attirera la neutralité voire la sympathie du public. Il s’agira alors de répondre à cette question : qui peut aimer sans passion dans la convention et l’ennui ? Qui peut aimer des émetteurs qui privilégient l’indifférence à la différence ?
Ni-ni publicitaire
L’ère est donc venue de la pub discrète, celle qui garantit l’immense avantage de ne présenter aucun risque de se faire allumer par les réseaux. L’imposture de la fausse tranche de vie dénommée « vraie vie » devient alors l’alpha et l’oméga de la pub discrète, qui trouve enfin sa sainte vérité marketing dans les eaux tièdes du nouveau « ni-ni » publicitaire : ni trop vieux-ni trop jeune, ni trop riche-ni trop pauvre, ni trop beau-ni trop laid...
C’est le règne du conformisme moutonnier et aseptisé qu’on constate de plus en plus dans les écrans publicitaires digitaux ou traditionnels, qui intéressent et impactent de moins en moins des publics devenus majoritairement publiphobes depuis... 2005. Publicités sans saveur qui certes ne font plus aucune vague mais qui obtiennent des scores d’impact, d’attribution et de mémorisation qui font sombrer les investissements sonnants et trébuchants des annonceurs dans le tonneau des danaïdes de la stérile « pub discrète ».
Cette publiphobie croissante annonce à terme rapide l’euthanasie de la discipline et du métier si la culture de la soumission continue de dominer avec ses réflexes pavloviens de censurer tout ce qui sort du rang. Plus que jamais, il faut retrouver le fondamental de la création publicitaire : faire spectacle. Résister et faire face aux Fouquier-Tinville [accusateur public du Tribunal révolutionnaire] et autres peine-à-jouir qui fleurissent sur les réseaux (a)sociaux (mais qui n’en restent pas moins ultra-minoritaires), c’est se donner les meilleures chances de s’assurer du soutien de l’immense majorité de nos publics et de l’opinion.