Il n’y a encore pas si longtemps, pour déterminer son itinéraire, connaître la météo ou prendre une photo, il fallait se munir d’une carte routière, du journal du jour ou d’un appareil photo. Non seulement les outils étaient distincts mais aucun n’était immédiat. Il fallait soit traiter laborieusement l’information (itinéraire), soit extrapoler des données imprécises (météo), soit posséder des compétences techniques particulières (photographie). Avec le smartphone, cette double incommodité a disparu. Tous les outils sont réunis en un seul et, grâce aux applications, l’utilisateur obtient un résultat directement opérable. L’information n’est pas présentée de façon brute mais elle est contextualisée pour répondre spécifiquement au besoin exprimé.
Bien qu’elles s’en défendent, les entreprises en sont encore à la carte routière, au journal et à l’appareil photo. Ou, plus exactement, à la juxtaposition d’une multiplicité d’outils de collaboration, d’analyse ou de reporting, qui, comme autrefois, nécessitent un mélange de savoir-faire, d’expertise et de ténacité pour y parvenir. Pour naviguer dans cette modernité «liquide» d’informations surabondantes et fluctuantes, les collaborateurs auraient pourtant besoin de se raccrocher à des choses claires, simples et solides. Mais en lieu et place de l’immédiateté de leurs applis personnelles, on leur donne les éléments inutilement exhaustifs et désespérément fragmentés d’un rapport de thèse. Et leur métier, que la technologie devait simplifier, ne cesse de se complexifier.
Un biais dans la démarche
En pleine révolution digitale et à l’aune de l’intelligence artificielle, comment expliquer ce retard des usages des organisations sur ceux du grand public ? Le Big Data n’était-il pas censé déceler dans les profondeurs des données de l’entreprise toutes les réponses aux questions des métiers ? Techniquement, il le peut. Mais pratiquement, c’est loin d’être le cas. Car le concept même de Big Data et son développement par des acteurs au pedigree essentiellement technologique ont créé un biais dans la démarche. L’accent a toujours été mis sur les données, leurs caractéristiques, leur collecte, leur qualité, et très peu sur leur utilisation finale. Lorsqu’on parle d’intégration, c’est toujours d’intégration technique qu’il s’agit et jamais d’intégration aux façons de travailler. À trop se préoccuper des données, on a oublié l’utilisateur.
Les outils d’analytics constituent un exemple flagrant de cet écart entre l’obsession de la collecte et la faiblesse des usages. L’angoisse des entreprises concernant l’établissement de KPIs a engendré une surenchère d’équipement. La batterie d’outils d’écoute et d’analyse alors mise en place est certes efficace pour du reporting sur des temps longs, mais, au jour le jour, toute cette information reste inexploitée car inexploitable. S’est-on suffisamment demandé pourquoi on écoutait, quelle était la valeur exacte de ces données, si on était techniquement et surtout humainement capable de les exploiter, et à quelles fins ? De façon générale, l’information est le plus souvent restituée sous forme de dashboards de veille que seuls des utilisateurs chevronnés peuvent exploiter. En somme, on a toutes sortes d’indicateurs météorologiques mais jamais la réponse à la question «fera-t-il beau demain ?».
Identifier les questions
Pour que les données apportent enfin la valeur et les gains de productivité escomptés, il faut paradoxalement rompre avec cette vision «data driven» et adopter une logique «user driven» qui a présidé au développement des applications mobiles grand public : partir de l’utilisateur, isoler des cas d’usage précis, identifier les questions que se posent concrètement les personnes et sélectionner les informations permettant d’y répondre explicitement, automatiser les tâches les plus laborieuses, et enfin présenter le résultat de façon digeste et adaptée au contexte.
Par exemple, ramenées à l’essentiel, les préoccupations d’un responsable marketing ne tiennent en définitive qu’en une poignée d’interrogations : à quoi s’intéressent mes cibles ? De quoi parle-t-on en ce moment ? Qu’ai-je à dire dans ce contexte ? Être «user centric», c’est se focaliser sur ces questions relativement sophistiquées et utiliser la richesse des données et la puissance des algorithmes d’IA pour leur apporter à tout instant une réponse simple. Et non l’inverse. C’est cela qu’on appelle l’Intelligence Etendue, ou quand l’IA simplifie et accélère notre quotidien professionnel, en nous permettant de travailler mieux, plus efficacement et à moindre effort.