Medias
Le projet de paywalls de Facebook Instant Articles et Google AMP ou bien les portails presse de SFR et Bouygues Telecom sont autant d’indicateurs d’une ubérisation en cours des médias, en France comme à l’international. La presse saura-t-elle garder la maîtrise de son avenir financier et de son lectorat?

Une période charnière pour les médias

Selon un article du Wall Street Journal paru le 12 juin dernier, Facebook pourrait proposer d'ici à fin 2017 l’accès gratuit via un paywall, et dans la limite de cinq articles, à Facebook Instant Article. Pour les internautes attachés à la rapidité de chargement des pages médias, Instant Article, disponible sur l’application mobile, a cet avantage de l’accélérer. Au-delà de ce quota des cinq articles gratuits, l’accès serait soumis à un abonnement au média concerné. Ce revenu lié à l’abonnement serait perçu directement par Facebook qui reverserait une part à l'éditeur après déduction de sa commission. Google AMP, autre format de diffusion de contenus, réfléchit lui aussi à un paywall. Il  y a quelques mois, le portail SFR Presse avait également défrayé l’actualité en proposant un accès gratuit, inclus dans son offre Box à 19,90 euros, à la quasi-totalité de la presse française, à l’exception de quelques titres, comme Le Monde ou Le Point. Un nouveau modèle d’accès aux médias qui ne dit pas son nom est-il en train de se dessiner? La presse est-elle en train d’être ubérisée?

Vous avez dit ubérisation?

La particularité de l’ubérisateur est de capter un revenu en se positionnant entre une entreprise et ses consommateurs. Pour ce faire, il propose une meilleure expérience utilisateur et un accès plus simple aux informations. Une fois le rapport de force écrasant instauré, il s’arroge le droit de fixer les prix et de diriger la stratégie marketing des entités ubérisées. Certains contenus ou marques sont alors mis en avant ou relégués aux limbes, en fonction de critères définis en interne et sur lesquels les marques référencées n’ont aucun contrôle. Elles sont pieds et poings liés. Après celle de l’hôtellerie-restauration, des transports, de la distribution et de bien d’autres secteurs encore, l’ubérisation de la presse semble se dessiner. Tout au long de ces dernières années, les Gafa ont progressivement capté l’essentiel des revenus publicitaires des annonceurs, traditionnellement dévolus aux médias. Désormais, avec leurs projets de paywalls et les portails du type SFR Presse, les Gafa et les opérateurs pourraient bien s’accaparer la part de publicité qui reste encore aux éditeurs et, plus grave encore, celles constituées par les abonnements.

Instant Articles, l’arme secrète de Facebook pour affaiblir les médias

Instant Articles a été lancé par Facebook en France fin 2015. Cet outil fonctionne comme un lecteur qui intègre directement sur Facebook les articles de presse. Les internautes, captifs lisent l’article dans Facebook et ne sont pas redirigés vers les sites médias. Ils perdent donc progressivement le lien avec les sites éditeurs. En avril dernier, des médias internationaux majeurs, comme The Guardian, The New York Times et Forbes, ainsi que d'autres titres de la presse anglo-saxonne ont claqué la porte de la plateforme Instant Articles, jugeant qu’elle captait des revenus publicitaires à leurs dépens et qu’elle éloignait les lecteurs de leur site. Quand les Gafa et les opérateurs télécoms auront ubérisé les médias en se posant comme l’intermédiaire incontournable, ils pourront ponctionner les revenus de ces derniers à leur gré, sans qu’ils ne puissent avoir leur mot à dire. Les médias n’auront plus le choix.

Le modèle SFR Presse, «une machine à détruire le journalisme de qualité»?

Un article paru il y a quelques mois dans Le Point soulignait la nocivité du modèle SFR Presse, également adopté par Bouygues Telecom, le qualifiant de «machine à détruire la presse de qualité». Pour 19,99 euros par mois, ce portail propose deux offres: un abonnement numérique à dix-huit journaux ou une box internet accompagné de ce même abonnement. Le journaliste critique donc cette approche qui signifie que soit les journaux sont offerts, donc non rémunérés, soit la box est gratuite et le montant de l’abonnement est reversé aux médias. Dans ce cas, divisé par le nombre de journaux, il est ridicule. Dans le même temps, selon un article du 14 juin du Canard enchaîné, un jeu subtil sur les taux de TVA permettrait aux opérateurs d’engranger de très substantiels bénéfices sur ces offres. Les médias semblent donc être devenus les dindons de la farce, permettant aux Gafa ou aux opérateurs télécoms d’attirer un maximum de lecteurs, et donc d’abonnés, pour leur plus grand bénéfice.

Une dépendance inquiétante aux Gafa

La presse est en pleine mutation digitale pour s’adapter aux attentes des nouveaux lecteurs et redresser ses ventes. Survivra-t-elle à une ponction supplémentaire sur ses revenus publicitaires et sur ceux liés aux abonnements, à une diminution de l’audience de ses sites et à la perte de la relation directe avec ses lecteurs? Habitués à consulter les réseaux sociaux, les internautes intègreront très certainement le réflexe de passer par les paywallq de Facebook Instant Articles pour lire les articles et s’abonner aux médias de leurs choix. Les études montrent d’ailleurs que seuls 1 à 2% des lecteurs de ces contenus gratuits finissent par s’abonner. L’objectif caché des Gafa est donc bel et bien de monétiser la «long tail», cette audience pléthorique qui ne s’abonne pas et qui souhaite lire sans payer. Les opportunités de génération de revenus publicitaires sont donc phénoménales pour Facebook et Google. Avec les mains libres pour s’octroyer la part du lion de cette manne, aux dépens des médias, désormais dépendants… 

La presse est devenu un produit d'appel

Ces deux modèles de «captivité» montrent bien que la presse est aujourd’hui considérée comme un produit d’appel privilégié pour attirer les internautes et les nouveaux clients. Mais cette qualité est le fait d’une exigence et d’une indépendance qui s’est construite jour après jour, depuis des dizaines d’années, grâce à des moyens financiers. Pour qu’elle puisse durer et traverser les prochaines décennies, la presse doit privilégier les modèles de revenus qui assurent son indépendance financière et qui renforcent la relation avec ses lecteurs. Son avenir et l’avenir de notre démocratie est à ce prix. 

 





 

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