À la veille de partir ailleurs, nous savons déjà que l’inconnu aura des airs de déjà vu… Que ce soit sur Airbnb, Abritel ou Booking, les sélections d’appartement qui me sont proposées me laissent perplexe. Le logement suggéré à Athènes ressemble étrangement à celui que j’ai occupé à Porto il y a quelques semaines, lui-même ressemblant au condo à New-York : murs blancs, ampoules nues, meubles «de design scandinave». Tous se ressemblent! Les appartements mais aussi le coffee art sur mon capuccino du matin, mes vêtements de style minimaliste, le design graphique de l’appli via laquelle je commande mon déjeuner, la musique auto-tunée dans ma salle de sport… Du matin au soir, ici ou ailleurs, le design est uniforme. Tous interconnectés en permanence, nous avons accès instantanément aux mêmes informations, cultures, opinions, données démultipliées.
Norme consensuelle
Dans un monde où la créativité est débordante, comment et pourquoi en sommes-nous arrivés à si peu de créativité? Jamais l’art du copiage n’a été aussi loin On nous propose et on nous impose ce qui doit être aimable, à la mode, tendance, bon, beau… à partir de ce qu’on connaît et qu’on aime déjà. Comment peut-on croire que le copié/collé va créer du nouveau? À force de puiser de l’image, de l’inspiration ou des détails aux mêmes sources, tout finit par se ressembler partout: les lieux, commerces, aéroports, logos, vocabulaires. On finit par éprouver un sentiment de déjà-vu dans des hôtels qui n’appartiennent pas à un même groupe, mais dont le design s’inspire de nos intérieurs. Il y a quelques années, Ikea est passé par là, imposant un style unique chez tous. Dépendant des notes de ses futurs clients et soucieux de plaire à tout le monde, l’hôte Airbnb manquera d’audace et choisira des meubles dans une norme consensuelle de design d’intérieur plutôt que d’écouter son goût personnel. Partout, les signes, les musiques, les couleurs sont les mêmes. Les plantes aussi! Les codes sont également les mêmes: quelle région du monde n’a pas encore son restaurant éclairé d’ampoules suspendues à des cordes ou des palettes détournées en siège?
L'essence du design
Au secours! Les tendances reviennent. Il s’agit d’un air du temps. Pire, il s’agit du même air qui tourne en boucle sur internet, nous faisant presque oublier que l’essence du design, c’est d’être marquant, se démarquer, être singulier. Parce que le commun et la tendance de tout le monde ne sont appropriables à personne. Pinterest et Instagram sont à prescrire avec modération. En effet, la bonne idée n’est ni l’idée de tout le monde ni l’idée du monde entier… On peut être inspiré, s’inspirer, mais de là à copier ou à se laisser enfermer, assez! On nous promet de l’inspiration qui vient d’ailleurs mais on ne nous suggère que des choses déjà archi-vues. Nous nous retrouvons alors piégés dans le paradoxe internet qui permet l’infini, mais dont notre utilisation est finalement très limitée.
Tous les métiers créatifs sont concernés
Tous les métiers de la création sont concernés: designers, architectes, graphistes, publicitaires… Aussi est-ce sans doute à nous, designers du monde entier, de respirer un bon coup et de nous battre contre cet air du temps: les tendances. Soyons singuliers pour être universels! Le design doit revenir à son origine: l’expression d’une vision nouvelle sur ce qui nous entoure. Le designer décadre et apporte un regard neuf, jusque-là inexploré. Il est fondamental de puiser dans la marque et son origine afin d’en tirer des singularités. Les histoires sont alors très riches. J’ai eu, il y a quelques années, le plaisir de travailler avec Henri Le Roux, chocolatier-caramelier breton. C’est la singularité de son histoire d’artisan d’excellence de Quiberon, exagérée par le design, qui a séduit un groupe japonais et lui a permis de perdurer au moment de son rachat.
Osons surprendre en offrant de nouvelles perspectives pour sortir des tendances universelles et s’émerveiller par un retour aux sources. Les hôtels Ace ont bien saisi cette importance et se sont affranchis du modèle d’hôtels à la chaîne, au design défini selon leur gamme basée sur des socio-styles, dont les chambres se ressemblent toutes. Chez eux, une chambre à Shoreditch à Londres sera radicalement différente de celle de Palm Springs.
La différenciation
Rien de plus profond, de plus vrai et de plus marquant qu’un ancrage régional. Soyons fiers de nos racines, renouons avec nos origines, pour conquérir et séduire. Faisons de notre singularité une différenciation audacieuse. Une logique de 20% de local et 80% de transverse suffit à se différencier. Cela ravit le paradoxe qui nous habite mêlant attente (je viens chercher ça) et désir de surprise (je ne m’attendais pas à ça). Alors, osons nous poser la question avant de plier bagage: cet été à quoi bon aller ailleurs si tout se ressemble?