En lançant un boomerang portant son célèbre logo, Chanel ne pensait pas qu’il lui reviendrait en pleine figure. Pour avoir proposé à ses clients cette arme de jet qui symbolise la culture aborigène au prix de 1260 euros, la marque de luxe a été accusée de se livrer à de l’appropriation culturelle et a généré une polémique sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas la première fois que Chanel est l’objet d’une telle accusation, fin 2013 en faisant défiler (1) des mannequins portant des coiffes de chef indiens, la marque de luxe avait déjà suscité un mouvement d’indignation.
Bad buzz «éthique»
Chanel n’est pas la seule marque, loin s’en faut à être suspectée d’appropriation culturelle. La planète fashion est particulièrement exposée à ce type de bad buzz. Marc Jacobs en septembre dernier avait lui aussi choqué l’opinion en faisant défiler des mannequins blancs portant des fausses dreadlocks (en laine). Avant lui, dès 2013, H&M avait généré une polémique avec sa coiffe en plumes indiennes et Mango avec ses bracelets «Esclave» ou encore Nike avec sa ligne de vêtements aux motifs de tatouages des Îles Samoa…
A l’origine de ces bad buzz, un malentendu. Les créateurs revendiquent la liberté d’utiliser les traditions ethniques comme une source d’inspiration ainsi que pour leur rendre hommage. Alors que les communautés ethniques considèrent leur démarche comme une forme d’exploitation.
Quand une ethnie a le sentiment de ne pas être respectée, discriminée ou exploitée, elle le fait savoir désormais largement grâce aux réseaux sociaux. C’est d’ailleurs cette thématique «ethnique» (2) qui suscite le plus de buzz en 2016, devant le «sexisme». Le risque de polémique est d’autant plus fort que la communauté concernée est considérée par l’opinion comme particulièrement fragilisée (les Amérindiens, Aborigènes, Africains, Maoris…).Pour autant, ces bad buzz ont-ils un impact sur les marques de mode? En présentant avec fierté son boomerang Chanel sur Twitter, Jeffree Star s’est attiré de nombreuses louanges, mais aussi une vague de réprobation. Sous la pression de l’opinion, les clients du luxe peuvent être tentés de renoncer à l’objet de la polémique. D’une manière générale, les consommateurs sont de plus en plus réservés à l’égard des marques qui ne respectent pas une éthique. Ce n’est pas un hasard si le nombre de dirigeants ayant dû quitter l’entreprise suite à un bad buzz éthique a augmenté de 36% en cinq ans (3).
Eviter les impairs par le dialogue
Les marques grand public commencent à en prendre conscience, Mango a fini par renoncer à sa collection de bracelets «Esclave» et Nike aux vêtements tatoués. Mais les marques du luxe semblent plus réticences à prendre en compte les tabous digitaux. En témoigne Yves Saint Laurent, qui a attendu d’être condamnée par l'autorité de contrôle de la publicité (ARPP) pour retirer une affiche sexiste. Ou Chanel, qui ne plaide pas coupable aujourd’hui et choisit de maintenir son boomerang dans son offre.
Comment éviter l’accusation? Les communautés ethniques ne sont pas pour autant fermées à toute utilisation de leur culture, mais sous certaines conditions. Elles souhaitent ainsi qu’un hommage leur soit rendu en bonne et due forme. A travers les défilés et les communications de lancement, les marques sont censées valoriser les traditions ethniques et ceux qui en sont les garants.
Autre impératif, respecter les symboles et la signification des traditions. Quand Chanel est accusée d’appropriation culturelle pour avoir présenté dans un défilé (4) ses mannequins avec des coiffes de chef indiens, elle explique que ces coiffes de plumes sont un des exemples les plus époustouflants de la créativité et de l’artisanat indiens, oubliant qu’elles représentent d’abord des objets sacrés pour les Indiens.
De même aujourd’hui, en rappelant pour sa défense que le boomerang fait partie de sa gamme d’articles de sport, Chanel fait preuve d’une certaine maladresse. L'objet représente avant tout un symbole culturel et aussi une arme pour les aborigènes, qui n’est pas comparable avec la raquette de plage ou de tennis proposés par la marque (5).
Enfin, les communautés ethniques fragilisées acceptent qu’une marque gagne de l’argent en «exploitant» leur tradition à condition d’y trouver un avantage au plan économique. Soutenir une association, des jeunes créateurs, des mannequins ou des artistes locaux font partie des initiatives que les marques pourraient engager afin d’éviter l’image d’exploiteur.Mais le sujet étant très sensible, pour éviter les impairs, il est important qu’elles dialoguent avec les communautés ethniques dont elles souhaitent s’inspirer. C’est à ce prix qu’elles pourront continuer à puiser dans le fabuleux réservoir de créativité ethnique tout en échappant… à l’effet boomerang.