Après le succès, la réalité des chiffres. Jusqu’à présent, Snapchat c’était surtout une story digne d’un succès hollywoodien : un patron brillant et charismatique à la jeunesse dorée qui a su hisser son application au rang de phénomène de société, à coup d’innovations permanentes (messages éphémères, vidéos verticales, invention des stories, filtres publicitaires etc). Il n’en fallait pas plus pour que les jeunes l’adoptent et en soient complètement fous !
D’ailleurs, les chiffres ont explosé depuis son lancement en 2011: avec 158 millions d’utilisateurs uniques, dont 8 millions rien qu’en France, pour 10 milliards de «snaps» envoyés quotidiennement à travers le monde, les chiffres ont de quoi donner le tournis.
A cela, on peut ajouter une valorisation proche de 20 milliards en ce début d’année 2017… reléguant presque au rang d’anecdote les 3 milliards proposés par Mark Zuckerberg en 2013 pour racheter la société.
Seulement voilà, une entrée en bourse ce n’est pas sans conséquences. Facebook et Twitter, qui se sont prêtés à l’exercice quelques années plus tôt, peuvent en témoigner. Le premier, (trop ?) ambitieux, a frôlé le scénario catastrophe avec une perte de 26% de sa valeur en moins d’un mois. Une situation chaotique, qui a su être redressée à temps. A l’inverse, Twitter qui a démarré sur les chapeaux de roue accuse le coup, avec une action en chute libre et beaucoup d’interrogations.
Quid donc du réseau phare des jeunes ? La hype va-t-elle retomber un jour ? Ou s'intensifier ? Au-delà du phénomène de mode, le modèle est-il durable ? Le risque est en effet de faire partie des bulles spéculatives, qui sont nombreuses à la Silicon Valley, et être dans l’incapacité de trouver un modèle économique viable.
Car, après un ciel sans nuages, des zones d’ombre se dessinent : tout d'abord; l’entreprise perd actuellement de l’argent (514 millions de dollars en 2016), et si le fondateur se dit optimiste pour les revenus publicitaires, ceux-ci se concentrent exclusivement autour de la cible des 18-34 ans (au mieux). Une faiblesse à l’heure où Facebook et ses petits, WhatsApp et Instagram notamment, sont omniprésents sur tous les fronts.
Autre chiffre à charge, l’ARPU (le revenu par utilisateur) qui malgré l’augmentation, demeure 5 fois moins élevé que celui de Facebook. A cela s’ajoute aussi les rumeurs d’un ancien employé qui a accusé la firme de gonfler les chiffres d’audience… Une belle épine dans le pied quand le point central d’une introduction en bourse, se joue aussi sur la transparence et la communication régulière sur ces chiffres.
Le modèle social dans la tourmente ?
Si Snapchat a indéniablement mis le pied sur l’accélérateur en matière de ciblage publicitaire, notamment en décidant de sauter le pas du programmatique, et d’ouvrir son API à l’ensemble du marché, il reste difficile pour les marques d’analyser et mesurer avec précision les résultats de leurs campagnes.
A cette problématique s’ajoute une autre, plus générale, qui concerne la transparence. Pour jouer carte sur table, Facebook comme Snapchat commencent à nouer des partenariats et autoriser des tiers organismes indépendants de mesure afin de vérifier certaines de leurs données. Il y a du mieux, mais ce n’est pas encore suffisant.
L’industrie a besoin d’un nouvelle dynamique d’ouverture des plateformes sociales, de KPI unifiés, homogènes et cross-médias afin d’avoir une vision 360° qui retranscrive la réalité du paysage actuel.
Toujours un temps d’avance
Malgré ces difficultés, il y a tout de même une certitude : Snapchat a toujours eu un temps d’avance en termes d’innovation. Certains ne manqueront pas de pointer du doigt le fait que Facebook; avec son milliard d’utilisateurs actifs quotidiens, réplique à une vitesse vertigineuse les fonctionnalités phares du réseau. C’est vrai. On pourrait même ajouter qu’il va encore plus loin, en améliorant et proposant ces fonctionnalités dans des marchés où Snapchat n’est pas présent, lui coupant l’herbe sous le pied.
Mais si finalement, c’était là, le but du fondateur de Snapchat ? A savoir, occuper ses rivaux à copier ses fonctionnalités, pendant qu’il s’affaire ailleurs et peut ainsi travailler sereinement sur ses innovations de demain ? Qu’on se le dise, Snapchat est peut-être déjà mort mais sans doute pour renaître autrement. Le changement d’identité en novembre dernier n’est pas anodin : exit le social et place à la diversification !
Dans le hardware, dans un premier temps, et le domaine des caméras plus précisément. A la façon Google Glass, l’échec en moins, serions-nous tentés de penser ? En tout cas, le patron de la firme a annoncé la couleur à ses investisseurs : « Nous ne sommes qu’au début des possibilités offertes par les caméras.»
Toutes les prochaines nouveautés pourraient se concentrer, non plus autour du réseau social, mais autour des Lunettes Spectacles et des technologies de réalité mixte & augmentée. Ce n’est pas pour rien qu’Evan Spiegel a racheté en décembre dernier la société Cimagine, spécialisée dans les solutions en réalité augmentée pour les plateformes e-commerce. Il se murmure également que la marque travaillerait sur un projet de drone pour des snaps aériens.
Bref, vous l’aurez compris, la bataille des titans est toujours d’actualité... Mais ne vous trompez pas sur les acteurs en jeu : c’est bien une battle Facebook «l’entreprise», qui pourrait d’ailleurs bien finir par se renommer pour ne plus être autant assimilé à son réseau phare, VS Snap Inc. qui aura lieu. Sur quel terrain? Sans aucun doute sur celui des nouvelles technologies de AR / VR et AI, qui s’annoncent comme les grandes tendances social media 2017 et des années à venir. La révolution est en marche !