Le digital est synonyme d'innovation, qu'elle soit liée à la technologie, à l'expérience ou au marketing. La démarche d'innovation a bien sûr préexisté avant la révolution numérique, sinon, nous serions encore dans des cavernes à chasser et à cueillir. Mais l'innovation est bien au cœur du sujet numérique, d'autant plus que l'explosion des technologies continue d'ouvrir un champ d'opportunités et d'usages presque illimités. Dans ce contexte, les méthodes de «design thinking» ont bouleversé l'innovation classique, basée traditionnellement sur de la R&D technique, en mettant l'expérience humaine et les usages au cœur du processus de création de valeur.
Innovation express
Parmi les méthodes de design thinking, le «design sprint» attire l'attention depuis que Google Venture, puis le Design Studio de Google l'ont remixé et packagé sous le nom de «product design sprint». C'est une méthode de design thinking condensée en cinq jours permettant de donner vie à une idée au travers d'un prototype et de confronter ce dernier à des utilisateurs cibles. Portée initialement par Jake Knapp, Partner chez Google Venture, le sprint a été utilisé sur de grandes réussites digitales comme Slack, Airbnb, Uber ou Nest. Mais aussi sur des projets très «mortar», comme Blue Bottle Coffee, une chaîne de coffee shops aux Etats-Unis qui a totalement réinventé l'expérience client grâce au sprint.
La magie de la formule tient au fait qu'elle arrive à marier deux objectifs apparemment antagonistes: concrétiser une vraie innovation et faire ça (très) vite. Car le délai de cinq jours, parfois raccourci à deux jours, continue de laisser perplexe bon nombre de designers d'expérience et experts du digital: comment, en si peu de temps, peut-on vraiment apporter une solution innovante à un problème sérieux et ainsi créer de la valeur? Et les sceptiques de voir le sprint comme un hackathon amélioré ou une semaine intensive de «brainstorming» dont le but est davantage de faire du «team building» que d'inventer un nouveau produit ou service. Pourtant le design sprint tient ses promesses.
Pourquoi ça marche? Le nombre de sociétés qui ont expérimenté la formule ne cesse de croître, que ce soient des start-up du monde entier, des géants du web ou des grandes entreprises établies sur des activités traditionnelles. Le site Sprintstories.com animé par Google Venture rassemble des cas aussi divers que passionnants qui permettent de comprendre la polyvalence de la méthode. Le secret du sprint tient en 4 points clés:
1. Une gestion du temps centré sur la productivité. A l'échelle du temps d'une grande entreprise, cinq jours, c'est très court. Comment produire quoi que ce soit de probant en allant si vite? C'est justement cette urgence qui motive, car elle porte un objectif impérieux: il faut que l'on puisse soumettre un prototype réaliste à des utilisateurs pour valider un concept. Pour cela, on concentre donc le temps créatif, mais surtout on efface le cycle de réunions de validation d'hypothèses, de présentation au management et de formalisation pour aller à l'essence de l'idée au travers d'un prototype réaliste. Cette gestion du temps repose évidemment sur la rigueur et le talent du facilitateur qui doit animer les travaux de l'équipe en tenant la montre de manière ferme mais élégante.
2. L'articulation entre travail individuel et collectif. C'est le plus gros bénéfice du sprint. Lors du 2e jour, on invite tous les participants à dessiner le plus d'idées possibles individuellement, puis on rassemble, on vote silencieusement et on partage. On fait ainsi émerger le concept le plus porteur naturellement. Ce travail individuel permet de multiplier les idées sans l'interférence des autres, comme c'est le cas lors d'un «focus group» traditionnel où le leader naturel occulte les autres contributeurs. La phase de mise en commun permet parfois de remixer les concepts pour proposer des choses encore plus innovantes.
3. Le plaisir créatif accessible à tous. Une fois la fibre créative nichée en chacun libérée, les participants ressentent le plaisir d'inventer quelque chose de concret et cette expérience les sort de leur routine quotidienne. Mieux: en tant que coconcepteurs, c'est un peu leur «bébé» et ils deviendront des vecteurs très actifs pour faire avancer leur projet.
4. La rencontre décisive avec les utilisateurs. C'est le cœur de toute méthode centrée utilisateurs et le moment de vérité du sprint. Probablement aussi le moment où l'on gagne le plus de temps, car la pratique du test utilisateur a démontré que six utilisateurs permettent de détecter 85% des améliorations. Pour réaliser un test probant, il faut préalablement avoir réalisé un prototype réaliste et interactif à la fin du 4e jour en utilisant un logiciel de prototypage simple, comme Marvel voire Keynote. Lors du test, le professionnalisme du consultant est essentiel pour ne pas interférer dans la rencontre entre le produit et les utilisateurs. Il doit savoir faire preuve de neutralité, d'empathie et de perspicacité pour comprendre et interpréter les réactions des utilisateurs
Première étape
Et après? Le sprint sera souvent la première étape d'un projet d'innovation numérique. S'il est concluant après des retours positifs des tests utilisateurs, il peut être suivi d'une étude plus approfondie sur les plans business, techniques et organisationnels. Puis donner lieu à d'autres sprints jusqu'à l'obtention d'une expérience et d'un concept produit parfaitement abouti. Après quoi, on passe à la réalisation technique proprement dite. Si les retours utilisateurs ne sont pas probants, cela veut dire qu'il faut continuer à étudier les usages et problèmes utilisateurs pour bien y répondre. En tout cas, le sprint aura évité de se lancer dans un projet qui n'aurait pas donné satisfaction mais avec des charges importantes.
On peut donc appliquer au product design sprint la maxime de Nelson Mandela: «Je ne perds jamais: soit je gagne, soit j'apprends.»