Cultivez le spontané, le vif, la couleur, le «vrai», les émotions! Exit les compromis, la morosité, le «mou», le «gadget», l’uniformisation de la pensée, la standardisation de la consommation! 50% (1) des Français se disent désengagés au travail: paradoxe, hérésie, caprice d’enfant gâté, effet de mode? Comment pouvons-nous être aussi lassés, ennuyés alors que nous n’avons jamais eu autant de savoir et de moyens à notre disposition, alors que nous n’avons jamais été autant sollicités dans tous les domaines?
À force d’accessibilité –le fameux phénomène «tout en un clic»–, le savoir devient une banale «commodité». À force d’être irrigués dans notre quotidien par toujours plus de technologie, de «nouveau», plus rien ne semble nous interpeller, nous surprendre, nous faire vibrer. 57% (2) des gens pensent d’ailleurs qu’ils seraient plus heureux s’ils passaient moins de temps à consommer, consommer dans tous les sens du terme. Or, ce que je constate tous les jours dans mon métier de conseil en stratégie design dans lequel j’observe les gens et leurs usages, c’est qu’individuellement, la surprise, la découverte, l’échange de concret et surtout d’humain, sont bien des moteurs de premier plan. Comme me le racontait une dirigeante Clarins en me parlant de l’expérience qu’elle avait vécue dans une poissonnerie à Sydney, au-delà de l’excellence des produits, c’est la théâtralité des poissonniers, la rencontre, la passion, le vibrant qui l’avaient emportée et qui lui avait fait dire en sortant «You make my day». D’ailleurs, 53% (3) des gens qui pratiquent l’économie collaborative le font principalement pour nouer de nouvelles relations!
Le «faire», être acteur, inventer, entreprendre sont aussi des éléments forts de motivation et de réalisation; le groupe Accor l’a d’ailleurs bien compris en créant son «shadow comitee», qui permet aux jeunes talents du groupe de contribuer et d’influencer les décisions importantes du comité exécutif. Alors, n’est-il pas temps d’enlever nos lunettes qui rendent la vie «grise et sans saveur» et de nous reposer les bonnes questions: quel est mon credo, quelles sont mes valeurs, mes passions, qu’est-ce qui m’anime au plus profond de moi? Quelle est l’essence même de mon métier, quelle contribution puis-je apporter au monde qui m’entoure?
Design utile, design heureux!
Car au-delà du fonctionnel, du pratique, du pragmatique, il y a et aujourd’hui encore davantage, une recherche d’émotion. Et parce que le design a une place prépondérante dans nos vies, que ce soit dans les transports, au bureau, à la maison, dans l’espace public, c’est l’intégration de cette attente d’émotion qui est au coeur de son actualité et de sa modernité. Parce que le design est une expertise du réel, il n’y a alors qu’un pas pour inventer le «design heureux». Le design répond certes d’abord à l’utile, à un besoin qui impacte la vie des gens en leur rendant un service, mais il doit aussi apporter du sensible, du sensoriel, de l’humain, du confort, du lien.
Le design n’est pas là que pour faire joli, il pourrait même procurer du bonheur. Il est utile, c’est sa fonction première, mais il peut aussi apporter un véritable bénéfice émotionnel. Et cela se vérifie dans tous les domaines: au bureau, où on observe la mutation d’un simple lieu de travail en un lieu de vie, de relations, d’expériences. Pour 42% (4) des utilisateurs parisiens interrogés, le bureau est avant tout un lieu de vie sociale! Avec un travail toujours plus nomade, il n’est plus le lieu où l’on travaille mais celui où l’on partage la culture de l’entreprise et d’entreprendre, un épicentre qui fédère les équipes et qui donne un véritable souffle de liberté et d’engagement.
Dans le commerce aussi, car comme le dit un proverbe chinois: «Si tu ne sais pas sourire, n’ouvre pas boutique.» Il ne s’agit donc plus seulement de faire des belles boutiques mais plutôt des boutiques commerçantes, dans l’utile mais aussi dans la proximité et la création de lien, avec la satisfaction client comme prisme prioritaire. C’est ainsi que Nature & Découvertes fait entrer le végétal dans son magasin du Marais, qu’il met au cœur la rencontre et le partage autour «des trouvailles des hauts plateaux», qu’il propose un coin lecture et des cours de yoga le dimanche matin pour les habitants du quartier.
Dans la ville et l’espace public bien sûr! Aujourd’hui les projets d’aménagement de quartiers sont participatifs, inspirés et votés par les riverains qui en ont l’usage. L’utile est bien présent, car on a toujours besoin de crèches et de parkings à vélos, mais ce sont surtout les espaces et interfaces collectifs qui permettent de recréer du lien, de partager des moments ensemble qui priment dans ces projets, quitte à avoir recours à des structures éphémères qui joueront parfaitement ce rôle.
En bref, je me rends compte aujourd’hui que le métier du design, ce lien entre les idées et les gens, entre le fonctionnel et l’émotionnel, n’a jamais été autant au cœur de la vie des gens. Et c’est ce qui m’anime au quotidien!
(1) Etude Ipsos/Steelcase 2016 «L'engagement des collaborateurs et l'environnement de travail»
(2) et (3) Rapport Prosumer Havas Worldwide «The New Consumer and the Sharing Economy», 2014
(4) Etude Ifop/SFL 2015