Les chatbots sont des programmes écrits par des ingénieurs pour interagir avec des utilisateurs en simulant un dialogue humain. Pensés, codés, opérés, maintenus et améliorés par des intelligences biologiques, ils évoluent au rythme des innovations technologiques. Pourtant, nous arrivons à un tournant où ces «marionnettes» pourraient bien finir par prendre la place de leurs concepteurs.
Axiome simple
Alan Turing, le «pape de la cryptologie», a conçu un test simple en 1956 pour valider l’efficacité d’un bot. Une personne échange avec une autre au travers d’un écran et d’un clavier. Un chatbot se substitue à l’une des deux. Si le second ne fait pas de différence et croit toujours avoir affaire à un semblable, l'examen sera réussi.
La logique de cette méthode repose sur un axiome simple. L’évaluation de la performance d’un chatbot est relative aux personnes qui l’utilisent. Il n’y pas de mesure mathématique absolue. Les chatbots sont en compétition avec l’esprit humain. Pas avec d’autres machines ni d’autres programmes. Et l’être humain s’est lancé dans la quête de l’intelligence artificielle (IA) avant même d’avoir achevé de comprendre le fonctionnement de sa propre intelligence.
Les ingénieurs spécialisés en traitement du langage et les neurobiologistes échangent leurs savoirs et leurs découvertes. Cela donne l’apprentissage par réseaux de neurones profonds pour les chatbots et des implants électroniques pour nos cerveaux.
Pour l’instant, l’intelligence humaine continue de dominer la compétition entre silicone et synapses. Mais, bientôt, sous l’effet de la croissance exponentielle des capacités de calcul, notamment avec l’avènement de l’informatique quantique, de mémoire digitale illimitée avec des temps de réactions infinitésimaux et un stock de données numériques qui contiendra tout le savoir de l’humanité, pourrons-nous continuer de rivaliser longtemps?
Deux trajectoires
En permettant aux bots de comparer en temps réel des informations multiples à des «patterns» issus d’un corpus documentaire digital extrêmement vaste, ils vont acquérir dans les dix prochaines années deux aptitudes spécifiques de l’intelligence humaine: la pensée latérale et la capacité à postuler.
L’homme se distingue par un éternel questionnement de son environnement et par ses tentatives pour y apporter toutes sortes de réponses, qu’elles soient physiques ou métaphysiques. Cette recherche permanente d’un lien de causalité et de sa démonstration par l’expérience est la source du développement continu des sciences explorées par le cortex de l’homo sapiens depuis la nuit des temps. Si cette démarche peut trouver une origine dans les besoins de survie, de perpétuation et de libération d’un être biologique, il n’en va pas du tout de même pour l’IA, qui ne se nourrit que d’électrons et qui ne produit que des calories. Là où l’espèce humaine construit sa destinée en intégrant les notions d’âme, de bien et de mal, de liberté et de justice, l’IA a des «idéaux» algorithmiques dont les objectifs sont d’analyser les informations plus vite, à moindre coût et mieux que nos semblables.
Notre développement dépend désormais de deux trajectoires: notre capacité à domestiquer davantage de ressources pour assurer à l'humanité une croissance vertueuse dans son écosystème et la maîtrise des technologies de l’IA afin de ne pas finir dominer par une «conscience» digitale omnipotente. Et cela en gérant une dépendance dangereuse: c’est à l’IA que nous allons demander de découvrir les nouvelles ressources dont nous avons besoin.
Un avenir toujours plus techno
Si l’on suit la courbe de l’innovation technologique, l’intelligence artificielle gagnera son autonomie, car elle disposera de capacités que l’intelligence biologique n’a pas: fonctionner sans interruption, assimiler simultanément d’immenses quantités d’informations, ne jamais rien oublier et effectuer des calculs très complexes instantanément.
Si l’on suit la courbe de l’innovation des neurosciences, dans le même temps, les ingénieurs produiront des composants et des prothèses bio-ioniques qui augmenteront nos capacités cognitives et physiques.
Assisterons-nous dans vingt ans à un combat planétaire entre cyborg et IA? Entre neurones et Qubit [analogue quantique du bit]? Le débat existe. C’était déjà le thème du film Matrix en 1999. Conscient de ces écueils immenses, les plus grandes firmes mondiales en pointe dans ce domaine se rapprochent pour définir ensemble un code éthique de l’IA. Et c’est, en 2016, le message de Barack Obama au prochain président des Etats Unis: «Mon successeur devra gérer un pays transformé par l’IA.»