Il faut toujours se méfier des belles unanimités. Prenez la loi Travail. De l’avis de tous les commentateurs, la cause est entendue: la communication de cette réforme a été un fiasco. Un triple fiasco même: mauvais timing, porte-parole défaillant et surtout manque de pédagogie (cf Stratégies n°1852 du 24 mars 2016). Mais est-ce vraiment le sujet?
Litanie récurrente sur la pédagogie
Attardons-nous sur la pédagogie, le maître mot des politiques et des communicants, la pierre philosophale grâce à laquelle toute réforme serait possible. Et a contrario sur le manque de pédagogie, cause principale de son échec. «Nous n’avons pas assez expliqué», «Nous devons faire davantage de pédagogie» martèlent les responsables politiques quand l’acceptation de la réforme n’est pas au rendez-vous. Cette litanie récurrente sur la pédagogie est triplement gênante. D’une part, elle sous-entend une relation de maître à élève, très infantilisante, laissant supposer que les citoyens-enfants n’ont pas la capacité de comprendre par eux-mêmes. D’autre part, elle fait jouer un rôle trop important à la communication qui, à elle seule, ne peut pas tout. «Le Titanic avait un problème d’iceberg. Pas un problème de communication» rappelait utilement un conseiller de Bill Clinton.
Le réel s'impose grâce au virtuel
Car oui, et heureusement, l’acceptabilité se joue sur le fond, pas sur l’emballage. Enfin, la pédagogie peut se révéler être une bombe à retardement: tous les sondeurs le savent, plus on avance dans la pédagogie de la réforme, mieux les gagnants et les perdants sont identifiés. Et par conséquent, plus les clivages et les oppositions apparaissent à l’issue du processus préparatoire.
Last but not least, la pédagogie «raisonnée» devient une illusion face à notre société de l’émotion et à une opposition aux réformes de plus en plus active dans les espaces numériques. Pour preuve, la mobilisation numérique contre la loi Travail a pris tous les acteurs institutionnels de court. Son pic d’intensité en deux ou trois jours a garanti une visibilité médiatique inouïe aux opposants et placé l’exécutif en position défensive. Dans une parfaite complémentarité, la pétition «Loi travail, non merci» a créé le nombre, le hashtag #OnVautMieuxQueCa a donné de la chair à la contestation. Véritable espace d’expression sur la précarité au travail, le hashtag a aussi permis de placer les jeunes au centre du jeu. Et ironie de l’histoire, c’est via le virtuel que le «réel» - la vie au travail - s’est imposé dans un débat jusqu’ici très technique et abstrait.
Alors, de plus en plus irréformable, la France? Certainement pas, à condition de questionner la méthode. Tout d’abord se dire que le «théorème des 100 jours», qui consiste à réformer en tout début de mandat au moment où la confiance envers l’exécutif est la plus forte, ne peut s’appliquer que sur des sujets de niche (certes, il y en a beaucoup en France). Avec peut-être comme clé de voûte le rachat de la rente que percevaient ceux qui seront les futurs perdants de la réforme (cf l’exemple des taxis). Mais sur les sujets plus clivants et hautement inflammables (retraites, santé, éducation…), cette méthode «blitzkrieg» risque de vite trouver ses limites.
Méthode participative
Il faut donc un autre élément de méthode, celui-là fondé sur un temps plus long. En considérant qu’une grande réforme ne peut aujourd’hui être conduite sans participation directe de la société civile. Faire davantage partager les enjeux, montrer en quoi il est essentiel de réformer, multiplier les espaces d’expression, rechercher la contribution active des citoyens. Il y a aujourd’hui une demande d’horizontalité qu’il faut mettre à profit à tous les stades de la réforme. Pas une pédagogie «top down», dépassée, mais une méthode participative qui favorisera l’acceptabilité. Les outils existent, il faut maintenant en généraliser la mise en œuvre. Souhaitons que cette question du «comment réformer» soit centrale lors de la présidentielle 2017. Elle sera un bon marqueur de la capacité des partis à intégrer beaucoup plus la société civile dans leur projet politique.