L’acte créatif est au cœur de nos métiers. C’est la création qui les rend uniques et en fait la valeur. Nos écoles d’art (Gobelins, Arts déco, Beaux-Arts, Camondo, Penninghen, etc.) sont parmi les plus réputées au monde. Chaque année, des milliers d’étudiants en sortent, beaucoup d’entre eux développent leur talent en agence, en France ou à l’international. Seulement voilà, le talent, la création, le contre-pied, la flamboyance, la légèreté, la surprise, tout ça…, la crise est en train d’en avoir raison. La faute à qui? La faute à un petit objet informatique, généré sur tableur Excel, une sorte de virus qui est en train de tuer la création dans l’œuf.
Un système soupçonneux
Passons sur l’infantilisme mortifère qui s’est imposé, aboutissant à des notations aussi millimétrées que ridicules des faits et gestes des postulants aux appels d’offres. En entrant dans la profession, nous avons accepté la dure condition d’un métier à concours. Il n’est pas non plus question, ici, de remettre en cause les indispensables évaluations qui permettent à une agence de progresser.
Soyons précis, voici le type de grille de notation présentée dans nombre d’appels d’offres:
– compétitivité financière: 40%;
– compréhension des enjeux stratégiques: 25%;
– qualité créative des propositions: 20%;
– qualité et séniorité de l’équipe projet: 15%.
Pas besoin d’être un expert pour comprendre où sont les priorités. La créativité et l’expérience, sel de la relation entre une agence et son client, sont reléguées au second plan et ne valent pas grand chose. Il s’est développé, avec l’alibi de la crise (qui dure depuis trente ans) et sous prétexte de bonne gestion, un système soupçonneux, tatillon et déresponsabilisant pour tous. Les premières victimes sont les entreprises qui s’arrachent les cheveux pour arriver à mener à bien des projets à la hauteur de leur ambition créative. Faut-il rappeler que c’est la valeur immatérielle qui fait majoritairement la valeur d’une entreprise (1)?
Ni séduction ni intimidation
On a cru bon de découpler la prescription de la négociation financière, laissant entendre que les directions marketing et communication ne savaient pas faire et qu’elles se faisaient avoir depuis des années. Alors, le soin de négocier a été confié à d’autres, des gens plus «froids» (sous entendu plus sérieux) qui ne se laisseront pas séduire, eux!
Du coup, les agences se sont dotées également de financiers « froids», qui ne se laissent pas intimider. Bref, la confiance règne…
Quel patron d’agence n’a jamais reçu un appel lui signifiant qu'elle est numéro un en création, mais deuxième pour la «compétitivité financière», donc non retenue? «Vous savez, je n’y peux rien, c’est la règle. La note sur le prix compte pour 40%…» Et oui, le propre d’une règle, c’est qu’une fois édictée, elle est livrée à elle même. Il ne s’agit pas de pointer ici du doigt une profession et encore moins des acheteurs qui font plutôt bien leur métier. Ce qu’il faut dénoncer, c’est tout un système appliqué à l’achat de travaux créatifs, quelle que soit leur nature. Ce système fait baisser de façon inquiétante en France l’exigence créative des clients comme des agences. L’achat de création n’est pas une commodité, il est urgent de le libérer des grilles derrière lesquelles on l’enferme.
Pétrole français
On ne fait pas ce métier pour faire moins cher, mais pour faire plus beau, plus grand, plus juste, plus noble et plus séduisant. Notre métier préférera toujours les tableaux aux tableurs, c’est sa raison d’être. La créativité est le pétrole français, c’est même la seule matière première où nous sommes le numéro un mondial (2). C’est elle qu’il faut protéger, libérer et encourager. Avec 2% du PIB mondial, la France est parvenue à placer deux groupes parmi les cinq premiers mondiaux du secteur de la communication. Cette performance exceptionnelle repose sur des décennies d’émulation et d’audace créative entre client et agence, sans ombres ni grilles au tableau.
Il est urgent d’opter pour une stratégie de relation «vintage» qui remette au goût du jour la confiance et la responsabilité dans la durée. Nul doute que tout le monde y trouvera son compte, car comme le dit notre fils de pub préféré: «L’argent ne fait pas les idées, seules les idées font de l’argent.»