Numérique

Je me souviens précisément de mes premiers instants sur internet, et de la déception immédiate que j’ai vécue. C’était donc ça, ce qui allait révolutionner nos vies: un carré blanc sur la page d’un moteur de recherche, un mot-clé à écrire, et puis une liste de résultats sous forme de liens. L'interaction de la recherche en ligne, à cet instant, était bien pauvre. En réalité, il fallait avoir une idée bien précise de ce que l’on recherchait pour le trouver. Pas de découverte, et difficile d’étancher la curiosité de l’internaute.

 

Sans surprise, ce paradigme de recherche a ouvert la voie à un web utilisé plus souvent pour des considérations utilitaires que pour la découverte. Un «système» s’est ainsi installé, dans lequel la recherche répond à des besoins utilitaires très simples, comme la météo, l’actualité ou la livraison d’une pizza, et qui a permis l’arrivée d’un autre genre de plateforme. Ce dernier l’a finalement mis en danger grâce à son approche clairement orientée sur la découverte: les réseaux sociaux.

 

L’océan de data, et moi et moi et moi…

 

Ce syndrome de la case blanche n’a pas évolué depuis: pour trouver des réponses, l’internaute doit - d'avance -  savoir ce qu’il cherche et l’écrire dans un moteur de recherche, Google le plus souvent. Il n’arrive à des résultats pertinents qu’en déroulant le fil d’une bobine qu’il aura lui-même conçue, suffisamment inspiré et patient pour sauter d’une page à l’autre.

Au programme, des heures et des heures de recherches, et un résultat final que l’utilisateur aura lui-même envisagé… ce qui laisse peu de place à la surprise, à la découverte, à l’extension du domaine de la recherche.

 

Le paradigme de la recherche utilitaire est encore très présent et souvent mis en avant comme l'aboutissement de la «recherche», ce qui n'est évidemment pas le cas. On aurait pu penser que le mode de recherche aurait évolué lui aussi, compte tenu de toutes les innovations dans le mode informatique depuis vingt ans. Le modèle de la recherche se serait développé en même temps que l'explosion de la  data - cette botte de foin dans laquelle il devient de plus en plus complexe de trouver une aiguille.

 

Or il n’est pas encore question de filtre contextuel chez Google, ou encore d’une autre façon de lire les résultats. Ces derniers, depuis vingt ans, sont alignés les uns derrière les autres. Les premiers d’entre eux sont toujours de la publicité, puisqu’elle est la raison d’être de Google… Ne tient-on pas là une piste de réflexion sur le manque d'innovation chez le moteur de recherche - mais aussi chez tous les autres?

 

La recherche vs la découverte

 

Google est un moteur de recherche. Comme son nom l’indique, son propos n’est pas d’ouvrir les ornières des internautes et de les emmener longuement sur les sentiers du web. En revanche, si je tape le mot «pizza» sur l’écran Google de mon mobile, les premiers liens me renverront vers les pizzerias de mon quartier ou celles capables de me livrer à domicile. Et j’aurai ma pizza en 20 minutes. C’est efficace, simple et clair.

 

« L’endroit idéal pour cacher un cadavre: la deuxième page des résultats de Google». Cette phrase d’un critique d’art new yorkais est à peine exagérée, tant les connaisseurs du web – dont Google est le chef de file – savent qu’il y a peu de chance que l’internaute clique sur un lien qui ne fasse pas partie du premier classement. La data explose et sature nos serveurs… mais Google continue de nous présenter les résultats par paquets de dix, en s’assurant bien que rien d’intéressant n’entraînera l’internaute jusqu’à la page 2. Ce dernier, conquis par les liens sponsorisés du haut de la page, qui répondent immédiatement à la question posée, n’ira pas au-delà.

 

Le business de Google

 

Le géant Google a construit une machinerie capable de placer sous le radar tous les sites internet existants dans le monde. Selon une mécanique de critères bien définie, votre site peut se retrouver très bien placé ou perdu dans les limbes du moteur de recherche. Et bien entendu, les clients de Google, qui participent au programme Google Adwords, se verront attribuer des places de choix sur les pages de résultats réservées aux annonces.

 

Nous y voilà. Google est en même temps un moteur de recherche et une entreprise publicitaire. Cet ADN paradoxal nous permet de prédire qu’il est en plein conflit d’intérêt, l’empêchant de faire évoluer la mécanique même de la découverte en  ligne. Google ne peut pas, par définition, s’auto-disrupter car l’entreprise perdrait la source de ses nombreux et prolifiques revenus… Pourquoi Google encouragerait la «découverte» si cela représentait un risque d'éloigner les internautes des premiers résultats «payants» pour une requête. Google est – et restera – un moteur pragmatique et utilitaire. De là peut-être vient le plus grand danger qui le guette, déjà qu'il se fait largement menacer par Facebook qui surfe sur le paradigme «social».

 

Qu’attendre de l’avenir de la recherche en ligne, compte tenu de ces hypothèses de départ? Il y a fort à parier qu’une autre entreprise révolutionnera ce schéma qui commence à se faire vieux. Cette façon de rechercher une information ne ressemble à rien de ce que le monde digital pourrait proposer. Il compile, liste et étalonne, mais il n’est pas encore capable de proposer à l’internaute ce que ce dernier n’aura pas été en mesure de formuler. Ainsi, impossible d’obtenir une réponse intelligente à une question idiote, de dépasser les frontières de nos propres capacités, et de s’améliorer au contact du web. Pour le moment!

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