Crise

Bien sûr, la crise Volkswagen n’a pas été gérée dans les règles de l’art de la communication de crise. Un mea culpa tardif, et une démission de son président sous la pression de l’opinion… Ce fleuron de l’industrie pouvait mieux faire. Mais il est clair que le 18 septembre, quand les autorités américaines mettent en cause le constructeur allemand, la messe est déjà dite. Même si toutes les bonnes fées de la communication s’étaient penchées sur son cas, aucune potion ne lui aurait permis d’échapper à l’onde médiatique qui l’a secoué. C’est en 2014 que l’entreprise aurait pu jouer sa carte et prévenir une crise de cette envergure, mais elle a raté le coche.

 

Le ratage de la dernière chance

 

En réalité, la crise couvait depuis plus de six ans et, conformément à la règle, elle est le fruit non pas d’une erreur, mais d’une succession de mauvaises décisions ou de dysfonctionnements dans les domaines technologique, marketing, commercial, communication... Tout commence en 2009 avec le truquage d’un logiciel dans un moteur diesel, dans le but de contourner les normes de pollution américaines. L’entreprise continue dans cette voie glissante pendant plusieurs années, avec la mise en place progressive de ce logiciel à plus grande échelle, sur de nombreux modèles de la marque et d’autres marques du groupe. Le scénario d’un dérapage isolé s’éloigne… et celui d’une crise grave se profile.

 

Mais c’est en 2014 que  Volkswagen commet l’irréparable. Quand les autorités américaines lui demandent des comptes sur ses moteurs non conformes aux normes de pollution, la marque automobile concède «des problèmes techniques» et met en cause les conditions dans lesquelles les autorités ont réalisé les tests de conformité. C’est seulement quand elle est confondue par de nouveaux tests en septembre 2015, qu’elle plaide coupable. C’est doublement condamnable, moralement bien sûr mais aussi du point de vue de la communication.

 

Il aurait mieux valu en effet que Volkswagen reconnaisse dès 2014 un dérapage tout à fait contraire à ses valeurs. En faisant preuve d’une vraie volonté de collaborer avec l’ONG International Council on Clean Transportation et les autorités américaines, en dénonçant la «sortie de route» de certains modèles diesel, le constructeur aurait pu espérer éviter une crise mondiale de confiance avec ses stakeholders, clients, actionnaires, autorités de régulation… Même si elle n’aurait probablement pas échappé à une polémique médiatique pas plus qu’à des sanctions financières ou juridiques.

 

L’opinion pardonne volontiers un dérapage, surtout quand elle a le sentiment que le «pécheur», conscient de ses fautes, cherche à les réparer dès qu’il en prend conscience. Elle est plus sévère à l’égard d’un tricheur qui persiste dans le déni, et se montre sans pitié devant un mensonge collectif. Car de là à penser que «le système est pourri», il n’y a qu’un pas.

Pourquoi ce fleuron de l'industrie allemande, qui a bâti son succès sur la qualité et la confiance, n'a t-il pas reconnu la tricherie dès 2014, quand les autorités ont constaté la non conformité des moteurs et que la direction de Volkswagen avait des chances de convaincre l’opinion qu’elle ne s’était pas rendue complice de ces pratiques?

 

Souris, autruche et combat de singes

 

On peut penser que cette décision est un dégât collatéral de la guerre des chefs qui a secoué le groupe au printemps 2015 mais qui se fomentait depuis plusieurs mois. Le petit-fils du fondateur de Porsche et de Volkswagen, Ferdinand Piëch, a organisé un coup d’état contre l’ex-président du directoire du groupe Martin Winterkorn. Pour sauver son poste, celui-ci devait afficher un bon bilan. Mission atteinte : la marque a ravi la couronne de leader mondial de l’automobile à Toyota au premier semestre 2015, ce qui a permis à Martin Winterkorn de conserver la sienne.

 

Mais à quel prix! S’il a gagné une bataille, il a perdu la guerre avec cette crise, dont il porte avec Ferdinand Piëch, une large responsabilité et qui l’a contraint à la démission quelques mois plus tard. Dans un climat sous haute tension, on pouvait parier que la direction ne saisirait pas la dernière chance qui s’offrait à elle quand les autorités l’ont interpellée sur les irrégularités constatées sur certains moteurs. Pourquoi?

 

Même si des aveux anticipés en 2014 auraient permis à la marque d’être moins impactée par cette crise, Martin Winterkorn aurait été affaibli par rapport à son rival, et aurait probablement perdu son poste, Ferdinand Piëch ne lui faisant pas de cadeau. A-t-il préféré jouer son va-tout? Le déni de truquage représentait son seul espoir, aussi mince fût-il, que l’affaire s’arrête là, avec la seule reconnaissance d’un problème technique et l’engagement à rappeler les voitures concernées. Telle une petite souris qui s’immobilise face au danger, dans l’espoir de se rendre invisible? La stratégie est hasardeuse, mais on ne peut l’écarter tant il est difficile de croire qu’un patron qui se plaisait à dire «je connais chaque vis de nos voitures», ignorait la réalité d’une affaire du ressort des autorités américaines.

 

Il est possible aussi que la direction n’ait pas pris la mesure du problème en 2014, dans un contexte de pression sur les performances commerciales, les mauvaises nouvelles ont du mal à se frayer un passage jusqu’au sommet. Dans tous les cas, les process d’alerte, de reporting, et de contrôle n’ont pas bien fonctionné dans ce climat interne tendu. Par conséquent même l’hypothèse de l’ignorance du truquage ne dédouane pas la direction de sa responsabilité.

 

La crise Volkswagen nous rappelle combien le facteur «humain» est important derrière toute crise. Les guerres au sommet du pouvoir sont en général destructrices, et pas seulement dans les entreprises mais aussi dans toute «tribu» y compris chez nos cousins primates. Quand les dominants se déchirent, la mortalité augmente au sein de la troupe qui est alors davantage à la merci des prédateurs (cf. Ces grands singes qui nous dirigent, Albin Michel).

 

Le retour du Jedi?

 

Certes, la marque a été très ébranlée, mais il lui reste des atouts, à commencer par sa solidité financière. Elle doit également pouvoir compter sur un allié stratégique: la chancelière allemande, après avoir traité la faillite de la Grèce, porté secours à plusieurs centaines de milliers de migrants, elle devrait sauver le «soldat» Volkswagen non sans l’avoir sermonné au préalable.

 

Quant à l’opinion, elle pourrait se montrer compréhensive. Tout d’abord parce que cette affaire ne relève pas d’un problème de sécurité, mais de qualité de l’environnement. A ce titre, elle ne génère pas de panique. La pollution est un sujet qui a encore du mal à mobiliser, comme les défenseurs de l’environnement le déplorent. Si les voitures Volkswagen étaient perçues comme dangereuses, l’impact commercial de cette affaire serait très probablement plus important. D’autre part, face à cet enjeu de l’environnement,  une grande majorité (source: Harris Interactive pour Caradisiac) de l’opinion française considère que tous les constructeurs de moteurs Diesel se valent, Volkswagen ne serait pas le seul à contourner la loi sur les émissions  polluantes.

 

Enfin, la marque allemande n’a pas à déplorer de crise majeure dans son histoire, son casier médiatique était quasi vierge avant cette affaire, et c’est la première fois que son crédit est entamé à l’égard de l’opinion.

 

Pour autant, la tâche sera rude pour Volkswagen. C’est la confiance qui est en jeu aujourd’hui. C’est d’autant plus grave pour une entreprise qui en a fait un argument de vente et qui était donc tenue à l’exemplarité. La tricherie (voire le mensonge en 2014) est la faute la moins excusable dans cette affaire, surtout si les marques concurrentes parviennent à prouver leur bonne foi. De plus, quand la confiance est rompue, elle crée un terreau favorable aux rumeurs et inquiétudes: si on nous ment sur la propreté des moteurs, peut-on nous mentir sur la sécurité des voitures?

 

Mais il est possible de regagner la confiance des clients et de l’opinion. Cela suppose de l’intelligence et de la patience. Toyota pourrait en témoigner. La marque a réussi à rebondir après une crise relevant de la sécurité: elle avait été accusée de dissimuler divers problèmes sur la Lexus, à l’origine de plusieurs décès. Obligée de rappeler plus de 16 millions de véhicules entre 2009 et 2011, elle s’est engagée depuis à faire preuve de transparence dans sa communication. Ce qui lui a permis de se remettre en piste avec succès.

 

Le constructeur allemand  a su dans le passé se distinguer par des campagnes de communication créatives, telle que «Force», mettant en scène un petit garçon déguisé en Dark Vador qui s’étonnait de son pouvoir en parvenant à faire démarrer la Volkswagen de son père! Une campagne prophétique? Il semblerait que la marque allemande ait rejoint le côté obscur de la force...

 

Pour regagner la confiance des clients, il lui faudra à nouveau opter pour une communication de rupture. Créer un nouveau choc émotionnel, positif cette fois, dans l’opinion, c’est une des recettes des neurosciences que Volkswagen aurait intérêt à appliquer (cf. Unconscious Branding, par Douglas Van Praet, Palgrave Macmillan). Pourquoi ne pas montrer dans quelques mois qu’il est capable de redevenir le Jedi de l’industrie automobile!

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