David Gilmour, l’ex-guitariste de Pink Floyd, puise dans l’univers sonore de la SNCF pour lancer son nouvel album «Rattle That Lock». Ce sampling inattendu des 4 notes qui résonnent dans toutes les gares de France et de Navarre en dit long sur la place des marques dans nos imaginaires. Celles-ci imprègnent en profondeur la matière grise de nos cerveaux et ressurgissent, comme le montrent avec brio, dans Vice-Versa, la pépite de Pixar, les scènes de réminiscences du jingle d’une marque de chewing-gum. Les collants Dim, les cigares Hamlet, le générique d’Universal et tant d’autres sont installés définitivement dans notre mémoire centrale.
Les marques, qui ont bien compris la puissance du son, s’emparent depuis des années de thèmes musicaux issus du patrimoine musical mondial. Elles en phagocytent même la paternité. La valse N°2 de Chostakovitch est davantage associée à la CNP qu’à son compositeur, et Whole Lotta Love de Led Zeppelin deviendra, pour les Milleniums la musique de Dior…
La société des marques
Avec «Rattle That Lock», cette convention s’inverse. L’identité sonore d’une marque devient le thème d’un titre pop. Consécration pour Michael Boumendil, le boss de Sixième Son: le voilà crédité aux côtés de David Gilmour en tant qu’auteur. Ce que dit cette anecdote est symptomatique de la société des marques. Au-delà de sa fonction d’actrice et d’activatrice économique, elle construit une esthétique et une culture propres que beaucoup réfutent ou méprisent.
Naturellement, il faut trier. L’œuvre de Mozart ou celle de Pink Floyd laisseront plus de trace que le pourtant très adhésif «tatatata-ta-ta» de Lalo Schifrin pour Dim. Mais trop nombreux sont ceux qui établissent des cloisons étanches entre la sphère artistique et le monde du commerce. Trop peu s’autorisent à penser qu’on peut trouver de la substance et de la qualité, aptes à alimenter nos fondamentaux culturels, dans la production des marqueurs commerciaux. C’est vrai pour la publicité et pour le branding comme pour les lieux de commerce qui structurent nos environnements. La convergence des outils de production créative et de diffusion efface peu à peu ces frontières historiques et idéologiques.
Presque rien
Il se confirme au fond que les acteurs de la communication, à qui l’on prête souvent une influence néfaste sur les comportements et un enlaidissement généralisé du monde, ont un rôle plus flatteur à jouer. Cantonnés du point de vue sociétal à médiatiser, sous peine de censure, des idées politiquement correctes et des justifications de l’utilité des marques, ils sont aussi parfois les acteurs, les auteurs, les inventeurs d’une culture pop riche, inspirante et fertile.
Si cela peut puérilement flatter nos vanités, cela doit aussi éveiller notre responsabilité. Nous faisons un métier formidable. Nous n’opérons pas à cœur ouvert et ne mettons la vie de personne en danger. Quatre notes de musique, 30 secondes de film, une image juste, un espace lumineux… Pas grand chose en somme, mais ces presque riens entrent 24h/24, 7j/7 dans les têtes de chacun par les yeux et par les oreilles. Cela devrait nous encourager à laisser ces endroits propres et frais, en les nourrissant de choses belles et pertinentes, de ces petits instants de qualité qui, comme l’art, rendent la vie plus intéressante que l’art.