Les marques de luxe peuvent-elles se contenter d’utiliser les réseaux sociaux comme un média de plus pour émettre des contenus, aussi spectaculaires soient-ils? Continuer de les considérer comme une extension d’un plan presse, affichage ou TV, et y entrouvrir simplement leurs coulisses en guise de partage après avoir touché le plus grand nombre et affirmé leur puissance? Accumuler indistinctement les fans en sachant que seuls quelques-uns d’entre eux, les influenceurs, ont réellement un pouvoir sur le choix d’un produit ou la réputation d’une marque?
Pour répondre à ces questions, le luxe doit résoudre le paradoxe auquel les réseaux sociaux le confrontent: comment être «social» quand on a construit son succès sur le mystère de la création et l’autorité d’un style? Que faut-il donner à partager? Jusqu’où faut-il lever le voile? Quelle est la bonne distance dans la relation à créer avec les influenceurs?
Aujourd’hui, fortes de leurs millions de fans, les marques de luxe parviennent déjà à se connecter aux précieux «millenials», ultime Gotha de l’influence sur les réseaux sociaux. De là à en faire des ambassadeurs, le pas à franchir reste grand; il est de la taille du rôle qu’elles sont prêtes à leur accorder. Car le moyen le plus sûr de transformer un influenceur en ambassadeur est de lui proposer un rôle à jouer dans l’écosystème d’une marque, à l’instar de celui donné par Burberry à The Sartorialist dans son «Art of Trench», ou encore par Chanel à Lisa Eldridge dans son «Beauty Channel». Mais leur donner un rôle, c’est faire entrer un peu de «Brand Democracy» dans le monde de l’autocratie, intégrer ouvertement le goût des autres dans le goût du luxe, et courir le risque de le faire percevoir plus fade parce que moins magique et moins rare.
Le luxe n’est pas le progrès, il ne vaut que s’il est désiré par tous et possédé par peu. Il en va donc du luxe avec les influenceurs comme de la vodka avec le caviar: elle se doit d’être sélectionnée avec soin et quelques gouttes suffisent pour exalter le goût sans courir le risque de le noyer. Dans le cas du luxe, l’arôme à trouver est celui du talent, celui de savoir mettre en scène la marque et ses produits à leur manière et dans un style naturellement proche de celui de la marque. Quelques influenceurs suffisent, s’ils sont bien choisis, ils diffuseront naturellement auprès des autres.
L’enjeu est ensuite de réussir à les engager sans en faire pour autant des influenceurs «sandwich», en leur demandant de plaquer sur leurs pages une image ou les codes de la marque. D’abord parce qu’ils s’y opposeront à juste titre pour préserver l’intérêt de leurs audiences. Ensuite parce que le pouvoir d’influence de la campagne en serait limité. Le style ou la force d’une image ne suffit pas, très vite remplacée par d’autres à l’ère de la boulimie rétinienne. La mise en scène des codes de marque pas davantage, sans quoi Chanel n’aurait jamais pu se faire dérober sa Petite Robe noire.
La solution tient dans les expériences que l’on saura faire vivre à ces influenceurs: la découverte d’un produit unique, la possibilité offerte de l’utiliser ou de le mettre en scène à sa manière, la rareté du moment organisé autour de cette découverte ou encore de la rencontre avec ceux qui l‘ont conçu… Des expériences qui doivent mais ne peuvent se contenter d’être rares: l’extraordinaire est le territoire du luxe en général, non celui d’une marque en particulier. Elles doivent savoir se renouveler, mais en restant fidèle à un ADN, dans le prolongement d’une vision, comme un terrain de jeu qui se déplace mais dont les lignes laissent une empreinte reconnaissable.
Plus l’expérience est forte et unique, plus l’engagement de l’influenceur est grand et la contrepartie faible. Un élément non négligeable à l’heure où l’éthique des influenceurs est questionnée et la mention «billet sponsorisé» sur le point d’être rendue obligatoire.
Enfin, il reste à donner du volume au tout, en créant autour de ces expériences une richesse de contenus permettant de toucher un plus grand nombre en viralisant mieux, et d’exposer plusieurs fois en créant pour chaque support utilisé une source nouvelle d’émerveillement.
Des influenceurs sélectionnés avec soin, des expériences rares et propriétaires qui s’expriment partout avec magie, voilà les ingrédients qui permettront aux marques de luxe de ne pas être solubles dans le social. Quant à la recette, elle reste à inventer par les fabricants d’expériences que nous sommes.
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