Chronique

Qu’est-ce qui fait plus de 15 milliards de chiffre d’affaires, avec une croissance à trois chiffres depuis sa création et une marge comprise entre 30 et 50% ? En 2019, c’était à peine moins que les revenus d’Uber mais plus que tous ceux de Spotify, Twitter, Snap et Shopify réunis. Vous donnez votre oreille au chat ?

Les Airpods d’Apple.

Des milliards donc, et même un peu plus si on ajoute les 90 euros de mon amende la semaine dernière. J’avoue que cela faisait un an que j’avais succombé, une fois encore, au génie d’Apple après avoir trouvé ridicule les oreillettes sans fil et résisté pendant des années. Comble de la vulgarité et de la dépendance, je me moquais. Et quand nous avons dû industrialiser nos appels et enchaîner les « visio », trouver plus de confort pour moi et un peu moins de désagrément pour mes nouveaux collègues de bureau – qui n’étaient que ma femme et mes enfants jusqu’ici –, j’ai craqué. Même une seule, même éteinte, même ou surtout à vélo… la maréchaussée m’a verbalisé.

Alors, depuis que je respecte la loi, aussi, à vélo, les oreilles et l’esprit alertes, j’ai eu le temps de réfléchir à ce qui me manque. Dis Siri…L’assistant vocal bien sûr. Ajouter une oreillette à son terminal, c’est comme libérer une fonction cachée, un nouveau super pouvoir.

La mante Apple

Première pensée ici, Apple, désormais la première capitalisation boursière mondiale – et de loin – est une mante religieuse. Elle mange les marchés qui l’ont engrossée. Regardez les « wearable devices », depuis sa montre connectée sortie un peu après beaucoup d’autres (Withings, Fitbit, Nike, Garmin, LG… Vous vous souvenez du cadeau idéal de la fête des pères 2015 ?), Apple a dévoré le marché qui n’existe pour ainsi dire plus que pour elle : deux fois la taille du marché des montres suisses, souvent plus de la moitié du marché des montres connectées. On peut se demander si ce n’est pas ce qu’il s’est passé avec les assistants personnels. J’avais testé pour vous, dès sa sortie aux États-Unis, Alexa. Où en sommes-nous cinq ans après ? Amazon possède, sur le marché des enceintes connectées, avec cet assistant personnel, une part de marché de 70% aux États-Unis, de l’ordre de 50% en Europe, c’est une réussite hallucinante. Mais la plateforme de Jeff Bezos annonçait début 2019 – Amazon est encore plus discret qu’Apple sur ses chiffres – avoir dépassé les 100 millions d’appareils vendus, soit 6 à 8 milliards de dollars au total donc à peine plus que la moitié d’une année de vente d’Airpods.

Imaginez donc qu’il n’y a guère qu’Amazon pour faire son (plus petit) trou sur une innovation et ses usages quand Apple a décidé d’y investir.

Deuxième réflexion et deuxième insecte, après la mante religieuse, le scorpion. N’est-ce pas le baiser de cet arachnide au marché du podcast ? On peut se demander pourquoi Apple n’a pas plus structuré ce marché qu’elle a contribué à créer et faire grandir depuis ses tout débuts. Après avoir lu ce numéro, je vous laisse méditer cette question : est-ce qu’Apple, magnanime, nous a laissé l’audio et sa créativité ou bien nous laisse-t-elle travailler pour elle et lui faire vendre plus d’Airpods parce que cette industrie audio sera difficile à rentabiliser… et ClubHouse, j’en parle enfin, nous révèle de nouveaux usages sans immédiatement nous expliquer comment gagner de l’argent dans une ère où les utilisateurs deviennent de plus en plus regardants sur leurs données personnelles, la publicité ou l’ajout d’un énième abonnement.

Creativity first

Mais, troisième et dernière considération, regardons la lune plutôt que le doigt. Confinés à nouveau, nous avons besoin de perspectives et de grands horizons. Facebook maintient son pari de long terme sur la réalité virtuelle. Il paiera, j’en suis persuadé.

Et c’est ce qui me semble le plus fascinant dans cette nouvelle phase de la transition numérique – la transformation, c’est fini, depuis 2020, nous avons basculé dans un monde numérique, dévoré par le logiciel. Sans cookie, avec plus de régulation des États, de contrôle de la concurrence, les États-Unis et la Chine en guerre numérique frontale, l’Europe qui doit absolument exister, une nouvelle frontière et un changement complet de paradigme s’annoncent : souhaitons que ce soit la fin de l’économie de l’attention et l’avènement de l’économie de la création. De façon plus profane et industrielle, un peu moins enthousiasmante aussi, on parlera de guerre de la donnée first-party. 

Nouvelle preuve qu’on ne doit plus parler de transformation mais bien de transition : quand on nous confine à nouveau, le numérique accélère encore.

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