On chante la souveraineté sur tous les tons, mais force est de constater que dans la Tech et pour notre Europe, quand tout allait bien, ça allait mieux ailleurs et que quand ça va mal en Chine et aux États-Unis, cela ne va pas mieux chez nous.
Les hirondelles ne font pas le printemps mais les corbeaux font-ils l’hiver ? Invité à l’heure où les matchs sont diffusés sur Amazon Prime pour une réunion de la FrenchTech à Roland-Garros, j’ai vu les corbeaux voler en escadrille. Pas un seul des brillants et de moins en moins rares brillantes entrepreneur-e-s que j’ai croisé-e-s n’a manqué de m’annoncer la crise, un marché qui se retourne, la fin des années fastes.
Rumeur ou vérité immanente ? Difficile de savoir où et quand cela a commencé mais les serpents qui sifflent sur nos têtes ne manquent pas ces derniers mois. L’anomalie était peut-être que la Tech avait été épargnée trop longtemps, voire mieux, souvent renforcée dans cette période.
Un oukase auquel la fine fleur de nos startuppers faisaient tous référence à cette soirée : la missive de Y Combinator reçue mi-mai par plusieurs milliers d’entreprises passées par le programme légendaire d’accélération, celui qui a contribué à l’émergence de Airbnb, Stripe, Instacart, Coinbase, Cruise, OpenSea, Reddit, qui annonçait que « la situation ne sentait pas bon et qu’il fallait se préparer au pire »… Alors, bien sûr, comme disait Audiard, « quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent ».
Et ça n’a pas manqué. Les start-up ferment les écoutilles et se préparent pour une plongée de 24 à 36 mois sans ravitaillement. Le fonds aux poches les plus profondes au monde Softbank, dont on avait moqué la prodigalité ces dernières années, a lui aussi annoncé changer radicalement ses règles d’investissement pour être bien plus sélectif.
L’hiver serait donc pour cet été et il s’annonce très long. Y a plus de saisons, c’est connu mais quitte à parler du temps, prenons le temps de bien regarder le bulletin météo et de savoir si le thermomètre est fiable et à qui il appartient.
Aramco devant Apple
En 2022, le Nasdaq a perdu plus de 25% et 5 000 milliards de dollars en valeur. Cette dégringolade n'a pas épargné cette fois-ci les entreprises technologiques aux valorisations parfois excessives et dont certains modèles commencent à montrer leurs limites. La fin de l’argent gratuit avec les taux nuls voire négatifs rend aussi les investisseurs plus précautionneux. Au même moment, la crise planétaire, celle de l’énergie et des approvisionnements, redistribue les cartes. Aramco, la compagnie pétrolière saoudienne, a détrôné Apple comme première capitalisation mondiale le mois dernier. Tout un symbole.
Retour à l’ancienne économie ? Et quid de l’ancien monde ? On chante la souveraineté sur tous les tons, on annonce la relocalisation mais force est de constater que, dans la Tech et pour notre Europe, quand tout allait bien, ça allait mieux ailleurs et que quand ça va mal en Chine et aux États-Unis, cela ne va pas mieux chez nous. Nos start-up ont à cœur de suivre les conseils de Y Combinator dont on aurait pu penser qu’ils les concerneraient moins : les annonces de gel des embauches voire les licenciements se multiplient dans la FrenchTech.
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Alors, si les tendances s’inversent, la meilleure attaque devient peut-être la défense ? Ici, la prophétie de Y Combinator devient autoréalisatrice et autocentrée, à l’avantage de la Tech, encore mais pas forcément de l’innovation. Sans cynisme, cette situation n’est-elle pas l’occasion pour certaines entreprises qui en ont les moyens de fermer la porte derrière elles et de souhaiter l’accélération du darwinisme à l’œuvre parmi les entreprises de croissance qui se passent volontiers de concurrence? N’oublions jamais que Google et Facebook, nées respectivement juste avant et juste après l’éclatement de la bulle Internet, se partagent aujourd’hui le marché mondial de la publicité en ligne.
Enfin, cette crise fait diversion. La conjoncture a bon dos et empêche un procès pourtant légitime. Cela fait quelques années que les start-up qui passaient pour de gentilles petites entreprises-enfants, par essence innocentes, commençaient à être dans le collimateur. Ce n’est pas anodin si les séries sur les plateformes traitent de plus en plus des scandales de la Tech : WeCrashed sur WeWork, Super Pumped sur Uber, The Dropout sur Theranos… et comme nous faisons toujours plus petit avec beaucoup moins de zéros, on trouvera bien un scandale à traiter chez nous façon Plus belle la vie plutôt que Game of Thrones. L’hiver avec l’accent marseillais plutôt que «winter is coming».
Alors, reste à espérer que la sympathie et la responsabilité gagnent ce que la puissance aura perdu, que cet hiver soit doux et que ce coup de froid sur la Tech annonce son engagement à prendre sa part de la lutte contre le réchauffement climatique ! Y a plus de saisons mais on sait ce qui vient après l’hiver.