Vous les avez lus ? entendus ? ces discours radicaux, ces propos rageux, ces menaces larvées (ou non) qui s’immiscent dans notre société, dans tous ses réseaux, s’insinuent dans les cercles les plus privés, les échanges les plus intimes, même ceux que nous pensions protégés. Que nous arrive-t-il ? Sommes-nous à ce point inquiets, paniqués par le mouvement du monde ? Notre hyper connexion, l’hypertrophie de l’information, le rythme effréné des images et l’outrance des bandeaux des chaînes d’info continue participent, on le sait, à une angoisse sourde, à une vision pessimiste de notre avenir commun. Alors quand nous devons parler de l’urgente nécessité à changer nos comportements, à transformer les modèles économiques et les modes de consommation qu’ils sous-tendent, comment ne pas prendre en compte cette chape de plomb, ce mal-être profond ?
Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, en 2010, alertait les dirigeants sur « l’usure psychique » des Français. Son expression fit flores. Depuis lors, la pandémie a renforcé ce sentiment de fragilité individuelle et collective et révélé une société morcelée, déboussolée et profondément en colère. Pourtant, il nous faut continuer à dire, expliquer, partager ces faits que l’on a trop longtemps voulu étouffer : l’épuisement des ressources naturelles, l’appauvrissement des sols, la montée des eaux, le défi climatique ... Comment ne pas craindre de ressembler à un oiseau de mauvais augure, à Philippulus, le prophète fou de l’Étoile mystérieuse « La fin des temps est venue ! » (NDA pour les tintinophiles avertis) et nourrir, ainsi, la dépression généralisée. Pas une marque, pas une organisation, ne peut valoriser ses efforts, ses engagements sans décrire les enjeux auxquels ils répondent.
Transformons le monde joyeusement
Spinoza, le philosophe du 17e, fut souvent considéré comme le philosophe de la Joie. Il défendait que la volonté et la raison sont impuissantes pour nous aider à changer. L’être humain étant, pour lui, un être de désir, il professait que seul le désir pouvait le faire progresser. Il sous-entendait qu’on ne peut quitter la tristesse, la peur, la dépression (ou une addiction) que grâce à un « élan positif » (la joie ou l’amour). Il parlait de « joie véritable », celle qui se révèle en nous quand on se sent connecté à notre nature profonde. Mais que faire de Spinoza ? Une fois qu’on a dit cela (et fait le malin !), est-on plus avancé ?
Nous savons que la peur tétanise et empêche l’action. Sans solutions ajoutées, sans action proposée, les messages anxiogènes ne marchent pas. Ils provoquent le déni et nourrissent souvent des délires complotistes. « Le climat a toujours changé », « c’est très exagéré », « on essaie de nous manipuler »... On sait bien qu’on ne crée pas l’adhésion, le mouvement, sans dessiner un grand but, un objectif heureux, un avenir désirable. Alors peut-on encore, dans nos communications, nos créations, être positif, joyeux ? Une marque, une organisation, peut-elle faire fi de ce climat ambiant et rester dans sa bulle un peu hors sol ? N’est-ce pas risquer d’être taxée d’inconscience (au mieux) ou d’égoïsme (au pire) ?
Et pourtant, n’avons-nous pas – aussi – le devoir de participer à une vision optimiste du monde, de la vie? Sans forfanterie, sans déni, juste par conviction que la société a besoin de respirations, de plaisirs et de légèreté. La crête est étroite. Je n’ai pas de réponses mais je m’interroge sans cesse. Devons-nous choisir entre l’optimisme SEUL qui minimise le risque historique de notre époque parce « qu’on s’en est toujours sortis » ? et le pessimisme SEUL qui oublie que les sociétés humaines ont souvent su s’adapter rapidement radicalement pour survivre ? La lucidité veut qu’on voie les deux. Rester lucide nécessite de ne pas choisir entre pessimisme noir et optimisme béat. Apprenons à parler ET de ce qui fâche ET de ce qui redonne espoir. Joyeusement !