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Deux milliardaires, Xavier Niel et Rodolphe Saadé, s’affrontent depuis des mois pour racheter le quotidien régional La Provence que possédait Bernard Tapie. Récit d'un bras de fer.

C’est le seizième quotidien de presse régionale, avec 73 365 exemplaires vendus en 2021 (-6% versus 2020). Mais dans l’esprit de Xavier Niel et de Rodolphe Saadé, La Provence est un titre majeur et un objectif numéro un. Une obsession. Les deux milliardaires français, respectivement 13e fortune de France avec 8,8 milliards d’euros et 19e avec 6 milliards d’euros via CMA-CGM n’ont d’yeux que pour le titre marseillais. Il est pourtant à la peine comme l’explique Éric Breton, journaliste élu titulaire au CSE de La Provence. « Depuis le rachat du titre par le groupe de Bernard Tapie en 2013, nous sommes liés à des démêlés judicaires, dans le cadre du Crédit Lyonnais notamment. Les 850 salariés du groupe sont épuisés. Le journal a accumulé du retard dans son développement numérique. Il faut freiner la chute des ventes. Et le dossier de notre rachat est mené sur le front du droit et pas du projet ».

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La lutte titanesque entre Xavier Niel, via sa holding NJJ, et Rodolphe Saadé, l’armateur marseillais, premier employeur de la ville, porte sur l'acquisition des 89% du capital que possédait le groupe Bernard Tapie, en liquidation judiciaire. Les 11% restants sont la propriété du fondateur de Free. L’ex-ministre, décédé le 3 octobre 2020, avait signé avec lui un droit d’agrément post-mortem pour le rachat de ces parts. Le Tribunal de commerce de Marseille a suspendu ce pacte d’actionnaires, à la suite de sa contestation par les liquidateurs en janvier. C'est le premier acte de ce feuilleton médiatique qui s'enlise. « Après une dizaine d’années de vaches maigres, avoir deux milliardaires qui s’intéressent à nous, c’est un problème de riches. Mais ce rachat de capital ne se fait pas dans le dialogue, la communication des projets, et avec la conscience des êtres humains et des familles qu’il y a derrière chaque salariés », déplore Éric Breton.

Le coactionnaire du Monde depuis onze ans, fort d’une transition numérique réussie et d’un groupe de presse digne d’un Citizen Kane (Télérama, La Vie, Courrier international, L’Obs), et de Nice Matin et Var Matin via NJJ, a fait appel de la décision du liquidateur judicaire de choisir l’offre la mieux-disante, celle de Rodolphe Saadé à 81 millions d’euros contre la sienne à 20 millions. Ce montant permettra de rembourser une partie des 400 millions d'euros dus par Bernard Tapie à l’État. Le fondateur de Free a voulu discuter le 2 mars avec les salariés dans leurs locaux mais s’est fait vivement éconduire par Jean-Christophe Serfati, le PDG : « Ce n'était pas une info consultation. Sa venue n'était pas légale », assure ce dernier. Il a cependant pu échanger pendant une heure et demie dans le local syndical du SNJ. Ce qui n'a pas empêché le 24 mars les six comités sociaux et économiques de se déclarer en faveur de l’offre de Rodolphe Saadé.

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Deuxième acte, le tribunal d’Aix-en-Provence a rendu en appel à Xavier Niel le 6 avril son droit d’agrément. Mais une nouvelle volte-face a eu lieu lors d’un conseil d’administration le 9 mai. Ce dernier a donné à l’unanimité son agrément à l’offre de CMA-CGM, Jean-Christophe Serfati ayant refusé les deux voix d'Anthony Maarek, représentant du groupe de Niel et détenant la procuration de Stéphane Tapie, excusé pour raison de santé, et celle d'Anne-Sophie Jahan, du groupe NJJ. « Ces voix caractérisaient un conflit d'intérêts et Stéphane Tapie étant actionnaire de catégorie B, il ne pouvait donner son vote à un actionnaire de catégorie A », assure Jean-Christophe Serfati. Maître Christian Lestournelle, l'avocat marseillais de Xavier Niel, plaidera les quatre recours déposés par ce dernier. « Il est probable qu'il n'y ait pas de jugement avant fin juillet », nous a confié l'avocat. 

Qui remportera la bataille ? Côté Niel, des sources proches du dossier, la confiance prédomine : « Notre approche est légaliste même si nous avons des vents contraires car nous sommes appréhendés comme des Parisiens qui débarquent. Le montant de notre offre s’appuie sur une estimation expertisée. Elle va dans le sens de l’intérêt social des salariés, comme notre business plan ». Ce dernier repose sur des mutualisations (régie, imprimerie) et permettrait de former un groupe de presse puissant dans le Sud-Est. Côté Rodolphe Saadé, l'engagement a été pris de ne supprimer aucun poste. Mais le projet apparaît flou. Jean-Christophe Serfati souligne l'urgence de la situation : « Si aucune décision n'est prise rapidement, on sera obligé de se mettre en procédure de sauvegarde et demander la protection du tribunal de commerce ». Le groupe, riche de 36 millions d’euros à la suite de la vente de son siège social, peut voir venir. Mais si le temps n'est pas un problème majeur pour des milliardaires, il en est un pour les salariés, inquiets.

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