SUPPLÉMENT RÉGIONS

Snobées hier, les régions sont courtisées aujourd’hui. Aux acteurs historiques, en pleine recomposition, BFM vient s’ajouter sur la photo, en attendant OFTV, la chaîne de Ouest-France. Est-ce le nouvel eldorado du secteur ? Ou un pari dangereux ?

Voilà une étude qui n’a pas dû passer inaperçue. Son titre : « Attachement des Français aux médias audiovisuels locaux ». Démonstration y est faite que le nouveau terrain de jeu se situe en province. 80 % des Français ont confiance en leurs médias locaux, tous types confondus, peut-on lire. Et 78 % sont d’accord pour dire que l’offre de médias audiovisuels locaux dans leur ville/région pourrait être enrichie. L’étude date de 2021. L’entrée de BFM sur ce marché remonte à 2019 – avec une accélération en 2022. Aujourd’hui, pas moins de dix déclinaisons – dont les deux dernières en Normandie et en Alsace – sont recensées au national. Analyse d’un marché en pleine recomposition.

Du rififi dans le public

9 novembre 2021. France 3 et France Bleu annoncent un futur mariage pour le local. Pour le pire, pensent les syndicats de part et d’autre. « On ne peut pas additionner des carottes et des courgettes, souligne Tanguy Bocconi, journaliste radio à France Bleu Roussillon, membre du bureau national SNJ-CGT. Il n’y aura pas de plan de licenciement, mais pas de remplacement en cas de départ en retraite, par exemple. Et pour les cadres, il y a déjà une armée mexicaine. C’est comme le choc de simplification… toujours une strate de plus. Mais au bout, en général, les gros mangent les petits. » Qui est le gros ? Qui est le petit ? Pour rappel, France Bleu compte 44 radios locales, France 3, 24 antennes régionales. Quand il y a trois rédactions locales en radio et une en télé, qui va être conservé ? Comment les équipes s’organisent-elles ?

Depuis un an maintenant, une bannière commune s’est affichée sur l’écran. On parle d’Ici. De la radio filmée pour les matinales ? « Nous avons eu une formation de trois jours, commente Tanguy Bocconi, pour avoir le B.A. BA, mais rien d’exigeant, que des plans fixes. Ici ? On a dû racheter le nom du domaine qui existait déjà. Cela raconte beaucoup du degré d’improvisation et du pilotage à vue. » À Châteauroux, France Bleu et France 3 cohabitent déjà, à une même adresse. C’est une exception. Le rapprochement est quelque peu compliqué. « Le sujet de la marque opérationnelle est partagé depuis des mois, note Céline Pigalle, directrice du réseau France Bleu. Ce n’est pas rien de changer de nom. On rentre dans le dur. En janvier 2025, il y aura une grande communication. » Avant cela, un préavis de grève a été déposé.

Le pari du local

La province comme relais de croissance du national ? Certains en font le pari. Et les derniers chiffres livrés par Médiamétrie, en juillet 2024, pourraient le laisser croire : deux tiers des personnes interrogées connaissent au moins une chaîne de télévision locale ; 6,6 millions de personnes en regardent au moins une fois par mois. Et 1,2 million chaque jour. Professeur à l’université d’Aix-Marseille, Alexandre Joux relativise cette perception optimiste : « Le marché publicitaire audiovisuel local n’a jamais vraiment existé. Il est national, et avec des tarifs élevés. Les annonceurs locaux n’avaient pas de justification à communiquer sur les canaux nationaux. Donc il y a toute une acculturation à faire. Les très petites entreprises l’ont fait sur internet et les réseaux sociaux. Mais cela a mis dix ans ! » Une acculturation pour tous les acteurs de l’écosystème, avec les agences, la création…

Mais BFM, avec des audiences en recul au plan national – 2,9 % de part d’audience, soit un écart de 0,3 % par rapport à sa concurrente CNews (selon les chiffres de Médiamétrie) qui n’a jamais connu de scores aussi élevés –, a-t-elle les moyens d’attendre dix ans pour se refaire une santé en local ? Quoi qu’il en soit, sa stratégie de diversification en province sera peut-être freinée : « L’ambition se heurte à une contrainte, note Raphaël Porte, directeur général de RMC BFM Ads, à un plafond fixé par le cadre légal. Nous ne pouvons pas couvrir plus de 19 millions de téléspectateurs hors Île-de-France. Aussi n’avons-nous pas encore choisi les prochaines chaînes. Nous avons créé un modèle industriel qui marche et nous pourrions passer à onze ou douze chaînes. » Aujourd’hui, 170 journalistes travaillent en région avec une bonnette aux couleurs de BFM. « Nous sommes contactés par tout le monde, par toutes les collectivités territoriales, ajoute Raphaël Porte. Nous assistons à la relocalisation de l’investissement publicitaire. »

Lancement d’OFTV : le far ouest

« Nous avons décidé de ne pas communiquer avant une conférence de presse qui aura lieu fin novembre pour présenter la chaîne. D’ici là, on laisse le microcosme audiovisuel s’amuser. » « Les chaînes sortantes s’amusent à distiller des fausses informations pour faire pression sur le Conseil d’État. On s’y attendait et ça nous amuse plus qu’autre chose :) » Ambiance.

L’atmosphère à moins d’un an du lancement d’OFTV est un peu tendue. Et les propos d’Édouard Reis Carona, directeur du pôle audiovisuel de Ouest-France, en témoignent. Le milieu bruisse d’un report de date. Guénaëlle Troly, nommée directrice générale, fixe au 1er septembre 2025 le premier rendez-vous avec le public, quand C8 et NRJ12 devraient s’arrêter le 28 février. « Les fréquences restent propriété de l’Etat, explique Alexandre Joux, professeur à l’université d’Aix-Marseille. Elles sont mises à disposition des entreprises privées. L’idée est d’éviter l’écran noir entre les deux. Ce sera peut-être une période low cost. »

Cette arrivée sur la TNT devrait se faire aussi avec « un fort ancrage local ». Guénaëlle Troly l’affirme dans son interview à nos confrères de BFM Business. Avec quels moyens ? Quel business model ? « Plus une chaîne arrive tard sur la TNT, pire c’est, commente Alexandre Joux. Cela va d’abord être un foyer de pertes pour le groupe Ouest-France, avant qu’elle ne soit installée. Et ce, d’autant plus que cette chaîne ne va pas récupérer les budgets publicitaires de C8. L’argent va aller en direction des autres que sont TF1, France Télévisions… La TNT est un pari risqué. Sauf si la chaîne est revendue dans cinq ans, avec sa fréquence. » Aussi, vu la rudesse de la mission, le petit mot – laissé sur LinkedIn – d’Alexandra Crucq, cofondatrice de Mesdames Productions avec Maïtena Biraben, n’est pas inutile : « C’est unique de lancer une chaîne ! Bon courage pour les mois qui viennent. »

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.