Les titres de la presse quotidienne régionale issus de la Résistance ont fêté leurs 80 ans cette année. L’occasion d’une introspection et d’un bilan des innovations du secteur.
Ouest-France a réédité les premières pages de son édition du 7 août 1944 et a demandé aux internautes de voter pour ses Unes les plus emblématiques, qui ont été republiées de septembre à novembre. La Charente libre a réalisé un supplément de 48 pages, Le Télégramme a sorti un livre illustré dans lequel on apprend qu’il a été le premier quotidien français à imprimer une photo couleur en 1968. Sud Ouest a organisé une journée portes ouvertes dans ses locaux qui a attiré 1 200 personnes, Midi libre a organisé des festivités avec des personnalités d’Occitanie le jour de son anniversaire, le 27 août. La Voix du Nord a hissé ses couleurs sur sa façade de la Grand-Place à Lille et commercialisé des objets commémoratifs… Les 80 ans de la presse quotidienne régionale ont été l’occasion de célébrations partout en France, mais aussi de réaffirmation des valeurs fondatrices issues de la Résistance et de resserrement des liens avec les lecteurs. « Le journal papier, c’est le plaisir de le lire et d’en débattre le matin en famille », affirme Ronan Leclercq, directeur général de la branche médias du groupe Télégramme. « Lors des célébrations de nos 80 ans, beaucoup de lecteurs nous ont dit que c’était leur journal. C’est leur rituel du matin, ils ont un attachement très fort au titre », renchérit Nicolas Sterckx, directeur général du groupe Sud Ouest.
« Une réponse à la fatigue informationnelle »
Pour autant, les médias régionaux ne se sont pas contentés de regarder dans le rétroviseur. Si la victoire contre l’occupant allemand n’est plus d’actualité, la défense de la presse face à la désinformation et à la bataille de l’attention sur les plateformes est le combat d’aujourd’hui. Pour Bruno Ricard, directeur général adjoint marketing, études et communication de la régie 366, la PQR a de nombreux atouts : « C’est un média très intéressant à l’heure où les gens redécouvrent le local après le covid. Ils veulent savoir ce qui se passe près de chez eux. Cette presse est une réponse à la fatigue informationnelle. La période des européennes et des législatives a été bonne pour l’audience, les Jeux olympiques ont été moins propices, mais l’intérêt a redémarré avec la nomination du nouveau gouvernement. »
Les groupes se sont lancés dans des investissements tous azimuts pour diversifier leurs revenus et conquérir de nouveaux lecteurs. « Cet anniversaire a été l’occasion de réaffirmer nos missions : l’hyper-proximité, l’hyper-utilité, l’hyper-identité, retrace Olivier Biscaye, le directeur de la rédaction de Midi libre, annoncé à La Provence en janvier prochain. La proximité passe par le numérique et nos 60 millions de visiteurs mensuels en moyenne. Nous sommes présents sur Instagram et TikTok pour nous adapter à l’évolution de la consommation. L’utilité, c’est être acteurs du territoire, pas seulement relais d’information, en organisant des événements. Et l’identité, c’est rappeler nos valeurs de démocratie, de tolérance, de pluralisme et notre engagement proeuropéen. »
Une diversification en marche
a presse régionale ne se consomme plus seulement sur papier, mais sur portable et en format vidéo. « Dire que les médias régionaux sont en retard sur le numérique est une idée reçue, affirme Bruno Ricard pour 366. Les deux tiers des personnes qui cherchent une information sur des applications ou des sites tombent sur de la PQR. Les groupes Ouest-France, La Dépêche et Sud Ouest sont particulièrement en pointe. » Chez Sud Ouest, le directeur général, qui vient de Webedia, a développé le principe des verticales par communautés d’intérêt : le rugby, le vin… Cela permet de monétiser des contenus, de créer des événements dédiés, de proposer des formules d’abonnement ciblées. « Nous avons multiplié les offres d’abonnement numérique : avec PDF, sans PDF, par thème, par département… La segmentation des offres permet d’augmenter le nombre d’abonnés », témoigne Nicolas Sterckx. Le groupe a acquis la société de production de documentaires Écrans du monde mais est aussi correspondant de presse télévisuelle pour TF1, M6, BFM… Une stratégie différente de celle de Ouest-France qui a obtenu une fréquence TNT avec son projet de chaîne OFTV, dédiée aux territoires. « Nous essayons tous les formats, Facebook, Instagram, Twitch, X… souligne Ronan Leclercq au Télégramme. La courbe d’apprentissage est longue, il faut d’abord développer l’audience avant de la monétiser. »
Le numérique, c’est aussi évidemment l’intelligence artificielle et sa version générative, que les rédactions abordent à pas de loup. « Sur l’IA, on mène une vingtaine de POC [proofs of concept] pour tester les usages. Ce peut être une aide pour les secrétaires de rédaction sur des tâches répétitives, pour leur permettre de consacrer plus de temps à la relecture », avance Caroline Tortellier, rédactrice en chef déléguée, responsable de la communication externe du groupe Ouest-France. Correction des copies des correspondants, résultats sportifs, gestion des archives, mise en page, l’IA a des applications pratiques mais « elle n’est qu’un outil, elle ne pourra jamais se substituer à l’expertise de nos journalistes », stipule la charte du groupe Ebra (L’Alsace, L’Est républicain, Le Progrès, Le Dauphiné libéré…).
Les groupes de presse cherchent aussi des sources de revenus au-delà de l’éditorial pour compenser la baisse structurelle des abonnements et de la publicité. Ils sont créateurs d’événements, incubateurs de start-up, propriétaires d’agences de communication. Les femmes sont à l’honneur dans les noms d’agence : celle du groupe La Dépêche se nomme evelyne en référence à la dirigeante de 1959 à 1995, Évelyne-Jean Baylet. À Sud Ouest, elle s’appelle Eliette, du nom de l’épouse du fondateur, et réalise 40 % de croissance par an. Dans le groupe Télégramme, l’activité hors média (emploi avec HelloWork, événementiel dans le sport et la culture…) représente la moitié du chiffre d’affaires. Finalement, la presse quotidienne régionale, ce n’est pas seulement de la presse, pas seulement quotidienne et pas seulement régionale. Preuve s’il en est que l’histoire des médias ne s’écrit pas qu’à Paris.