Indissociable du pouvoir politique, la peopolisation a de beaux jours devant elle, en témoigne la curiosité des Français quant à la vie privée des candidats à la présidentielle. Pour les communicants, il s’agit donc de convaincre leurs clients de se plier au jeu médiatique afin de mieux le maîtriser.
Curieuse idée que d’aborder la peopolisation de la vie politique dans une campagne qui se veut sérieuse et dont l’enjeu, l’élection présidentielle, ne devrait pas être parasité par une telle approche. Pourtant, soyons honnêtes en pensant à cette réplique tant d’actualité du Tartuffe de Molière, dont on célèbre le 400e anniversaire de la naissance : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées. » Ainsi, personne ne conteste que faire la une de Paris Match, c’est entrer dans la « cour des grands ». Cette campagne n’a-t-elle pas commencé par une publication du 23 septembre 2021 avec, en couverture, Éric Zemmour enlaçant sa plus proche collaboratrice, tenant ainsi en haleine de nombreux curieux jusqu’à la confirmation par le candidat de sa liaison avec Sarah Knafo, près de quatre mois plus tard, sur BFMTV ? Et par quel événement « peopolitique », comme dirait le publicitaire Frank Tapiro, va-t-elle s’achever ?
Images marquantes
Qu’on le déplore ou non, la vie publique est atteinte par cette démonstration photographique qui a encore de belles années à vivre. La presse magazine qui suit la vie des « puissants médiatiques » de toute nature –des Marseillais, acteurs de téléréalité, aux descendants du Roi de France– est la plus vendue dans notre pays : elle peut « s’enorgueillir » de cumuler 11 millions de lecteurs en moyenne chaque semaine, dans toutes les catégories de la population. Cette appétence se décline également aujourd’hui sur les réseaux sociaux avec l’influenceuse Magali Berdah [lire page 16] ou, hier encore, sur les grandes chaînes de télévision, avec Ambition intime de Karine Lemarchand sur M6, dont les résultats d’audience ont fait rougir nos émissions politiques traditionnelles.
Dans cette logique, le monde médiatico-politique a beaucoup débattu ces dernières semaines pour savoir si les candidats à la présidentielle devaient se présenter chez Cyril Hanouna, animateur d’une émission de divertissement sur C8 qui recycle son impressionnante audience quotidienne via un rendez-vous avec les politiques. En l’occurrence c’est peut-être l’offre qui fait la demande mais celle-ci existe, se diversifie de décennie en décennie et aucun candidat ne la refuse. Un phénomène incontournable qu’il vaut mieux choisir d’accepter que de rejeter. Notre mémoire collective récente est marquée par le choc de quelques photos : ce président de la République, François Hollande, en scooter, son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, à Disneyland Paris avec sa future épouse, l’actuel chef de l’État, Emmanuel Macron, sur une plage de Biarritz en maillot de bain avec sa femme…
« Les Français ont le droit de savoir pour qu’ils votent, ce qu’ils sont », disait Bruno Jeudy, rédacteur en chef de Paris Match, lors d’un débat sur RFI en 2016 sur le thème « La peopolisation a-t-elle tué la parole politique? », en compagnie d’Édouard Philippe, réfractaire pour le moment à une telle exposition. Contacté, le journaliste précise qu’aujourd’hui, « la plupart des ténors politiques refusent ou alors seulement ceux en mal de notoriété. On propose ainsi des choses différentes. Leurs aînés sont sans doute allés trop loin. » En d’autres termes, « finies les photos dans la cuisine ! ».
Rencontre personnelle
Cette élection majeure de la Ve République qu’est la présidentielle s’avère par essence très personnalisée. Il s’agit de la rencontre d’une personnalité avec les Français. Il faut convaincre et séduire. Dès lors, paparazzades et paparazzis sont le lot incontournable d’une aventure présidentielle et nul ne peut dire qu’il n’y goûtera pas un jour. Comme l’écrit l’opiniâtre photographe Pascal Rostain dans son livre intitulé Voyeur, publié en 2014 chez Grasset, « on n’oublie jamais une bonne image imprimée dans nos mémoires. Une photo raconte une histoire. Réussie, elle ne nécessite aucune légende, aucun texte, elle se passe de mode d’emploi. Les images de paparazzi sont de vraies images, elles disent la vie, sans tabou ni artifice. Elles choquent parfois. Toujours elles informent. »
Emmanuel Macron et son épouse ont ainsi toléré, si ce n’est accepté, que Michèle Marchand dite Mimi, surnommée « la papesse de la presse people », les accompagnent dans leur conquête et gestion du pouvoir, sans trop se soucier de la frontière entre communication et information. La communication politique est l’art d’organiser plutôt que de se faire imposer. C’est un métier qui doit faire accepter à son client qu’il vaut mieux autoriser cette violation de sa vie privée. Être dans la réaction est plus difficile et les conséquences peuvent être désastreuses. La vie d’un homme ou d’une femme publique appartient désormais au spectateur. Les artistes l’ont compris bien avant le monde politique. Les grands chefs d’entreprise doivent aussi l’intégrer même si la pression est moindre car leurs clients ont un rapport plus indirect avec leur acte d’achat. Ils recherchent finalement peu l’incarnation. On achète moins du Bernard Arnault ou du François Pinault que du Nicolas Sarkozy ou du Emmanuel Macron !
Une vie pas simplement politique
Comment rejeter également l’idée que la séduction politique ne saurait éviter la curiosité –saine ou malsaine– de l’électeur ? L’Homme est ainsi fait et le nier serait une erreur d’approche pour les communicants. Nicolas Sarkozy m’a toujours dit et répété que ce qui est le plus important dans la vie politique, c’est le mot vie. C’est sans aucun doute ce que recherchent les Français dans leur quête d’une personnalité présidentielle : que l’on réponde aux préoccupations de leur vie quotidienne mais qu’ils connaissent aussi un peu plus de la vie de ceux qui aspirent à les diriger. Populariser son projet et son action, c’est les rendre accessible au plus grand nombre avec tous les outils qu’offre la médiatisation. Il faut donc accepter de se plier à la ligne éditoriale d’un support qui ne suit pas toujours l’approche espérée. Les marches à gravir sont nombreuses et rien ne doit être négligé. La concurrence entre les médias est telle que chacun voudra toujours en savoir un peu plus que l’autre, tout en butant sur l’arsenal législatif français qui, en la matière, reste l’un des plus protecteurs.