Un rapport de Viginum montre que des opérations de déstabilisation sont menées par de faux médias ciblant entre 50 et 150 entités et individus à chaque vague. Objectif : discréditer des éditeurs de contenus.

Le 5 avril, Delphine Ernotte a fait part lors d’une matinée au SNPTV de sa « réelle inquiétude » devant « le grossissement de sujets qui sont dans le débat et prennent, tout à coup, tout l’espace démocratique ». La PDG de France Télévisions songeait alors, sur les réseaux sociaux, à ces ingérences étrangères venues de l’Azerbaïdjan ou de la Russie comme les punaises de lit avant les JO ou les étoiles de David bleues, en pleine guerre à Gaza, destinées à opposer les communautés. « J’ai très peur d’un mouvement de foule », disait-elle. Depuis début juin, et un rapport publié par Matignon et le Secrétariat général de la défense, on en sait un peu plus sur le mode d’action des opérations de déstabilisation russes.

Intitulé « Matriochka, une campagne prorusse ciblant les médias et la communauté des fact checkers », ce rapport met à jour les techniques de manipulation par le relais de faux médias identifiées par Viginum depuis la fin 2023. Le mode opératoire consiste en la publication, dans l’espace francophone, de fakes estampillés BFMTV, l’AFP, France 24, RFI, Le Figaro, Le Monde, Libération, Le Parisien et même La Montagne. Avec une manœuvre en deux temps : il s’agit d’abord d’un pseudo-reportage, d’une capture d’écran bidon, de faux documents officiels ou d’images truquées de graffitis dans les rues. Exemple : un faux article illustré par un document ayant une charte graphique imitant celle de la CIA pour faire croire que Paris 2024 présente un fort risque terroriste. Bref des usurpations publiées sur les réseaux par des « seeders », lesquels sont ensuite reprises et partagées par deux ou trois comptes de « quoters » en réponse à des posts de médias, de cellules de fact checking ou de personnalités.

Conséquences : les médias, ou les cibles - qui peuvent être aussi des ONG ou des fonds -, sont interpellés par ces « quoters » qui attirent leur attention en leur demandant de vérifier l’authenticité des contenus publiés par ces « seeders ». Une quarantaine de comptes X français ont ainsi été pris pour cibles depuis septembre 2023, qu’ils appartiennent à des éditeurs de contenus, des fact checkers ou des observatoires de la désinformation. Sur un total de 500 comptes X ciblés dans le monde depuis le début de la campagne Matriochka (poupée gigogne en russe), Viginum estime que l’objectif est probablement moins l’audience que de décrédibiliser les cibles tout en promouvant des contenus servant les intérêts russes.

La campagne européenne a-t-elle ravivé ces faux et usage de faux ? « Il y en a eu beaucoup avant l’élection, répond Véronique Reille-Soult, présidente de Backbone Consulting, ça a un peu disparu avec la dissolution, mais ça va revenir. » Comme le rappelle cette experte, il n’est pas nécessaire d’être un génie de l’usurpation : il suffit d’une bonne connaissance des codes des réseaux sociaux, et en particulier de TikTok dont l’algorithme a une forte capacité à amplifier une fake news ou une vidéo trafiquée, pour « faire sortir un sujet de la sphère militante et le faire entrer dans la réalité ». Certes, on trouve des plateformes plus responsables qui traquent le faux, conformément aux DSA, mais il y a urgence : aux États-Unis, selon Newsguard, les faux sites d’infos locales (1 265) sont déjà plus nombreux que les vrais sites médias locaux (1 213).

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