Il y a tout juste vingt ans, les passionnés de sport se levaient la nuit pour pouvoir suivre un résumé de seulement quelques minutes des Jeux paralympiques. Marie-Amélie Le Fur, championne paralympique et présidente du Comité paralympique et sportif Français, revient sur comment les Jeux de Londres en 2012 ont permis aux parasports de trouver leur place dans les médias de grande audience.
Le nombre de diffuseurs des Jeux paralympiques va atteindre cet été un record. Et le public sera au rendez-vous puisque, d’après Laurence Pécaut-Rivolier, présidente du groupe de travail Protection des publics et diversité de l’Arcom (autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), 60 % des Français déclarent leur volonté de suivre ces Jeux (67% pour les Jeux olympiques). Pourtant, comme l’explique le sociologue Rémi Richard, cet engouement pour les sports paralympiques a été long à advenir dans la société. Alors que les premiers Jeux paralympiques de l’histoire se sont tenus à Rome en 1960, il a fallu attendre 1996 et les Jeux d’Atlanta pour voir naître les débuts d’une médiatisation structurée avec, pour la première fois, la diffusion à grande échelle des performances des athlètes paralympiques. Vingt-six ans plus tard, les Jeux paralympiques de Londres révolutionnent cette médiatisation et cette reconnaissance. Ils offrent une couverture sans précédent aux athlètes paralympiques et contribuent à changer les perceptions du public sur le parasport et le handicap. Cet effet se mesure quatre ans plus tard avec les Jeux paralympiques de Rio suivis par 4 milliards de personnes à travers le monde. Longtemps marginalisés, relégués aux brèves et aux sections spécialisées, les Jeux paralympiques ont donc gagné en visibilité grâce à « l’effet Londres ».
En France, les chaînes de télévision, les radios et les journaux y accordent une place de plus en plus importante, en atteste les temps d’antenne de France Télévisions, diffuseur officiel : de 60 heures de programmation lors des Jeux de Londres à 100 heures lors des Jeux de Rio et de Tokyo, ce sont plus de 300 heures qui sont annoncées pour Paris 2024. En mettant l'accent sur les histoires personnelles des athlètes paralympiques, leurs défis, leurs réussites et leurs parcours individuels, les médias contribuent à susciter l'empathie et l'admiration du public. Les Français comprennent désormais qu’aux Jeux paralympiques on « voit du sport, là où ils avaient peur de voir du handicap », souligne le journaliste sportif Alexandre Boyon. Au-delà des médias traditionnels, la révolution numérique et les campagnes marketing ont renforcé la visibilité des parasportifs. D’après Pierre Viriot, directeur de la communication interne marque et image d’EDF, cette couverture médiatique multiplateforme a challengé la créativité collective et favorisé des narrations plus légères, voire humoristiques, suscitant l’engagement de nouvelles communautés.
Cependant, cette évolution médiatique cache un défi : celui d’assurer une couverture médiatique équitable et équilibrée du parasport tout au long de l'année. Bien qu’une récente étude de l’Arcom révèle que désormais 10,4% des émissions sportives évoquent le parasport, comme l’émission quotidienne Aux Jeux, citoyens ! sur France 3, la diffusion d’événements parasportifs autres que les Jeux paralympiques reste anecdotique dans le paysage audiovisuel français. Un défi pourtant relevé par d’autres pays comme le note l'athlète français Arnaud Assoumani, champion paralympique de saut en longueur, qui cite l’Italie pour exemple avec la diffusion régulière de matchs de championnat de basket et de rugby fauteuil. Pour Alexandre Boyon, mettre le parasport plus régulièrement à l’antenne, sur l’ensemble des médias et en sélectionnant certains événements, est un enjeu majeur pour créer un engouement durable des Français. C’est d’ailleurs le sens de l’opération « Jouons ensemble », portée par l’Arcom depuis 2021, qui incite les médias audiovisuels, télévisions et radios à intégrer plus de retransmissions sportives, d'émissions et d'interviews consacrées au parasport et aux acteurs du monde du handicap. Cependant la difficulté du téléspectateur à comprendre et ressentir la performance réalisée dans certains sports paralympiques reste un frein à l’ouverture du modèle.
« Cybordification » et résilience
Autre réalité, les pressions commerciales et le diktat d’une audience validiste influencent les choix éditoriaux et conduisent à une représentation sélective des athlètes en situation de handicap. D’après Rémi Richard, plus que les parasports, ce sont les histoires sensationnelles ou inspirantes qui sont médiatisées, ne représentant dès lors qu'une partie de la diversité des handicaps. Les athlètes aux handicaps moins visibles, moins spectaculaires, peuvent être négligés au profit de ceux ayant une histoire plus accrocheuse. Dès lors, ce n’est pas le palmarès qui conditionne la notoriété d’un parasportif mais véritablement sa façon de raconter son handicap, notamment sous l’angle de la résilience. Autre réalité, les athlètes paralympiques qui utilisent des technologies (athlète « cyborg ») captivent davantage. Leur capacité à surmonter les obstacles, voire à atteindre les performances des athlètes valides, et ce, grâce à des prothèses, est un sujet de fascination. Car la « cybordification » des athlètes soulève des questions éthiques, sociales et philosophiques sur la relation entre l'homme et la technologie qui attisent l’intérêt du public. Il est ainsi courant de voir des sportifs paralympiques user de cette « cybordification » comme d’un élément d’expression de leur personnalité sur les réseaux sociaux. Et certains utilisent ce levier pour sensibiliser à l’inclusion. C’est notamment le sens du projet « Bras d’or, Bras d’Art » d’Arnaud Assoumani.
Ce storytelling conduit souvent à une héroïsation des athlètes paralympiques, appuyée par l’usage plus récurrent de superlatifs que dans le sport olympique. Ce choix narratif permet de répondre au code traditionnel du spectacle sportif mais il amoindrit la capacité d’inspiration des personnes en situation de handicap en excluant tout ou partie d’entre elles. Afin de contrer ce processus d'héroïsation, le comité paralympique international (IPC) a lancé en 2021 « We the 15 ». Les messages clés de cette campagne mondiale mettent en avant la diversité, la dignité et les capacités des personnes en situation de handicap, tout en soulignant l'importance de reconnaître et de valoriser leur contribution à la société. Plus qu'une simple sensibilisation, c'est un appel à l'action pour transformer la société et construire un monde où chacun est valorisé et respecté pour ce qu'il est.
Paris 2024, un changement de narration
Traditionnellement, le champ lexical du parasport est orienté sur le handicap, et les reportages se concentrent souvent sur les défis des athlètes en raison de celui-ci. Les Jeux de Paris 2024, associés à une considérable professionnalisation du mouvement paralympique, ont conduit à une plus grande attention portée aux performances athlétiques et aux compétitions en mettant l'accent sur les récits de réussite, les rivalités sportives et les performances athlétiques exceptionnelles. L’évolution de la couverture du parasport par les médias sportifs en est la meilleure illustration. Ce changement de narration, fortement porté par les grandes figures des Jeux paralympiques, s’accélère considérablement avec la sensibilisation et la formation des journalistes aux spécificités du parasport. Conscient de cet enjeu, le Comité d’organisation des jeux de Paris 2024 (Cojo) et le Comité paralympique et sportif français (CPSF) ont initié dès 2022 un travail partenarial avec tous les médias français en les invitant à vivre de l’intérieur ces sports via des temps de pratique, de formation et des rencontre avec des parasportifs. La coopération des journalistes avec des consultants experts, souvent d’anciens athlètes paralympiques, accompagne également cette montée en puissance.
D’autre part, l’émergence de plus grandes passerelles entre le sport olympique et le sport paralympique, portée par les instances, les diffuseurs et les partenaires, est également un élément structurant des Jeux de Paris 2024. En ce sens, l'équipe de France unie, déployée en 2021 par le CPSF et le CNOSF et qui réunit les athlètes français sous une même bannière pour affirmer l’excellence sportive, sans faire de distinction de handicap, de genre ou de discipline, représente un levier puissant pour la médiatisation du parasport en incitant à l’émergence de nouveaux sportifs dans les foyers français.
Bien plus qu’une simple diffusion sportive, la médiatisation des parasports encourage notre société vers une plus grande inclusion en célébrant les capacités humaines. Cette visibilité accrue favorise l’engagement des personnes en situation de handicap dans les activités sportives. Plus encore, les Jeux humanisent et agissent positivement sur la stigmatisation du handicap. Et Paris 2024 fait la promesse d’un rassemblement populaire et inclusif. Bon jeux à tous !