Apple, qui défend une image de chevalier blanc de la vie privée, est pourtant aujourd’hui cerné par les critiques sur ses ambitions publicitaires qu’il compte réaliser, selon ses concurrents, grâce à des mesures anticoncurrentielles.
Après avoir bouleversé le commerce de données personnelles sur le web en interdisant les cookies sur son navigateur, Apple s’est attaqué au printemps 2021 au même marché sur les applications mobiles.
Concrètement, le nouveau système baptisé App Tracking Transparency (ATT) permet aux utilisateurs d’iPhone de refuser de partager l’identifiant publicitaire de leur appareil. Sans surprise, la majorité des utilisateurs refusent d’être pistés.
Les éditeurs d’applications (du géant Facebook aux petites start-up) perdent alors la capacité de cibler précisément leurs publicités vers les clients d’Apple, pourtant considérés comme des cibles privilégiées par les annonceurs en raison de leur pouvoir d’achat.
La mise à jour a contribué à l’effondrement d’une partie des valeurs boursières de la tech. Le groupe Meta (Facebook) avait d’ailleurs prévenu début 2022 que cette mise à jour allait lui coûter 10 milliards de dollars de manque à gagner sur l’année, et a annoncé en novembre se séparer de 13 % de ses effectifs.
« La réalité, c’est que la grande majorité des profits dans l’écosystème du mobile sont captés par Apple », notamment au travers des commissions sur les applications payantes et les achats numériques, a déclaré son P.-D.G. Mark Zuckerberg mercredi, lors d’une conférence organisée par le New York Times.
Auto préférence
D’autres groupes très dépendants de la publicité ciblée, comme Snap, maison mère de Snapchat, ont également dû revoir leurs plans et procéder à des licenciements à la suite des décisions d’Apple.
Mais le secteur entend désormais faire plier la marque à la pomme devant la justice.
En France, le lobby de la pub en ligne, associé à l’Udecam (qui représente les agences de communication) et au SRI (régies internet), espère voir aboutir une plainte pour abus de position dominante devant l’Autorité de la Concurrence.
Le collège de l’Autorité, contre l’avis de ses services d’instruction, les avait d’abord déboutés en mai 2021 d’une demande de mesures conservatoire, considérant qu’Apple n’avait pas à ce stade « mis en œuvre une pratique susceptible d’avoir potentiellement un effet anticoncurrentiel ».
Mais l’examen de la plainte se poursuit au fond, notamment sur le fondement de l’autopréférence, c’est-à-dire le fait qu’Apple réserve à ses propres applications des règles plus souples.
« Cela ne va pas assez vite par rapport aux très forts impacts sur la concurrence », a regretté jeudi 1er décembre le président de l’Alliance Digitale, association professionnelle d’acteurs du marketing numérique, Nicolas Rieul, qui note que des actions similaires ont été lancées en Allemagne et en Pologne.
L’action a été rejointe cette année par le Geste, qui fédère 140 éditeurs de contenus en ligne.
Parallèlement, l’association France Digitale, qui regroupe des développeurs d’applications, a porté plainte contre Apple auprès de la Cnil, le gendarme français des données personnelles.
« Publicité mensongère »
Si Apple ne communique pas son chiffre d’affaires publicitaire, les analystes de Wedbush Securities estiment autour de 4,5 milliards de dollars les recettes annuelles issues de la publicité sur le magasin d’application App Store, où les éditeurs payent pour être mis en avant.
Des études prévoient que ces revenus montent jusqu’à 30 milliards de dollars en 2025, notamment si Apple ajoute de la publicité à son service Apple TV ou Maps. Il pourrait alors se positionner en quatrième acteur publicitaire derrière Google, Facebook ou Amazon.
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Apple a pourtant largement construit son image sur le respect de la vie privée, affirmant sur des affiches géantes que ses applications ne collectaient pas de données personnelles.
« C’est très bien que chaque acteur s’engage pour la confidentialité des données, mais il ne faut pas que ce soit de la publicité mensongère », a commenté auprès de l’AFP Romain Robert, directeur de programme de l’association de défense de la vie privée Noyb.
Récemment, deux développeurs spécialistes de la cybersécurité ont révélé qu’Apple était capable de suivre la navigation sur l’App Store de leurs utilisateurs, sans qu’il soit possible de s’y opposer.
Après cette découverte, une action de groupe a été lancée le 10 novembre en Californie. Interrogé par l’AFP sur ce point, Apple n’a pas fait de commentaires.