Malmenée depuis des décennies par la baisse de sa diffusion papier, la presse quotidienne régionale cherche à se diversifier dans les événements, l’audiovisuel, le numérique ou la communication. Tour d’horizon de ces relais de croissance.
Presse écrite, organisation d’événements et communication numérique. La presse quotidienne régionale (PQR) entend dorénavant faire reposer son modèle économique sur ce « trépied ». L’activité médias ne suffit plus à assurer seule la pérennité et la rentabilité des groupes de presse régionale. Selon un rapport sénatorial publié en juillet, entre 2010 et 2021 la diffusion papier des quotidiens régionaux a chuté de 37 % ; en parallèle, depuis 2014 la part du numérique dans leurs recettes n’a progressé que de 12 %. Le groupe Le Télégramme [lire aussi page 44] est l’un de ceux qui ont engagé le plus tôt une stratégie de diversification de leurs activités. Aujourd’hui, l’activité médias ne représente plus que la moitié du chiffre d’affaires du groupe (180 millions d’euros pour 2022) avec un Ebitda de 3-4 millions d’euros .
Mais la véritable rentabilité du groupe est ailleurs… chez HelloWork, ex RegionsJob, racheté en 2001 par le groupe brestois. Aujourd’hui, la plateforme réalise un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros et contribue pour 75 % à la rentabilité du groupe («15 à 20 millions d’euros d’Ebitda récurrent », selon Édouard Coudurier, le PDG du groupe). Une activité de diversification de la PQR unique tant par sa taille que par sa rentabilité. Au-delà de l’emploi, Le Télégramme a aussi, depuis une vingtaine d’années, élargi son panel d’activités événementielles : courses à la voile (Route du Rhum ou Solitaire du Figaro) et festivals de musique (Francofolies et Printemps de Bourges). En 2014, il a racheté le suisse OC Sports (voile pro, cyclisme amateur et course à pied), lui donnant une dimension internationale (90 % du chiffre d’affaires d’OC Sports est réalisé à l’étranger avec une présence dans 15 pays).
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Cette diversification réussie est source d’inspiration. La Dépêche a créé il y a une dizaine d’années une filiale événementielle. « Après une phase d’apprentissage et quelques tâtonnements, nous nous sommes recentrés depuis trois ans sur les grands événements », indique Jean-Nicolas Baylet, directeur général du groupe. Au catalogue de Dépêche Events, des rencontres professionnelles (Mobility Solutions Show ou Cybersecurity Business Convention), et grand public, comme Tubecon, le rendez-vous des influenceurs, ou le Rose Festival (50 000 spectateurs pour sa première édition en 2022). Le groupe Nice Matin, repris en 2020 par Xavier Niel, est, lui, « reparti de zéro » sur les événements, selon son PDG, Jean-Louis Pelé. Mais il a conservé le Tour des Alpes-Maritimes et du Var (cyclisme), revenu à l’équilibre, et un festival de yoga. « Avant la reprise, Nice Matin perdait beaucoup d’argent sur les événements », explique-t-il.
La télévision régionale a longtemps été vue comme un pôle de diversification pertinent. « Tous les groupes de presse régionale s’y sont frottés, mais cela n’a été convaincant pour personne, constate Jean-Clément Texier, président de Ringier France et fin connaisseur de la PQR (1). Désormais, ils cherchent, au mieux, l’équilibre financier. » L’échec en 2021 du réseau de télé locales Vià, constitué à peine trois ans plus tôt, est emblématique des difficultés du média en région. Mais cela a aussi créé des opportunités : La Dépêche du Midi en a profité pour reprendre l’activité en Occitanie (déficitaire). Certains, comme le Groupe Sud-Ouest, complètent leur couverture audiovisuelle de TV régionales par des web TV (Angoulême et Pau) aux coûts très modérés.
Pourtant, Gabriel d’Harcourt, jusque-là directeur général délégué de La Voix du Nord, y croit fermement : « La vidéo est en plein boom et dispose d’un modèle économique éprouvé ». Le groupe nordiste est d’ailleurs en train de regrouper sa télé régionale Wéo avec son agence de production de contenus. C’est désormais vers les activités numériques et la communication que se tournent la plupart des acteurs. La Dépêche du Midi a transformé en 2017 sa régie en agence de communication, permettant au groupe de retrouver l’équilibre. Sud-Ouest a créé, en 2020, Eliette et racheté cet été Newsroom 365, spécialisé dans la production de contenus.
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« Nos entreprises, historiquement industrielles, sont dorénavant en train de se transformer pour devenir des entreprises technologiques en concurrence avec d’autres producteurs de contenus numériques », constate Gabriel d’Harcourt, appelé à la direction générale de La Provence. En 2017, La Voix du Nord a lancé Vozer, un site à destination des 18-25 ans (73 000 abonnés Facebook, 24 000 followers Instagram ; 200 000 euros de chiffre d’affaires). Au printemps, le groupe Ebra a, lui, racheté l’éditeur numérique Humanoid (Numérama, Frandroid, etc.). Cette acquisition « s’inscrit parfaitement dans la stratégie de diversification de revenus du groupe, avec le développement de nouvelles verticales sectorielles, des activités digitales et évènementielles », déclare Philippe Carli, le président du groupe, au Figaro qui estime le montant de l’opération entre 40 et 60 millions d’euros (pour un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros).
Dernier levier de diversification, le développement d’activités autour de publics ciblés. Depuis deux ans, Nice Matin développe des « hubs » thématiques (Eco, Santé puis Smart City) reposant sur des événements spécialisés financés par des partenariats. De son côté, Nicolas Sterckx, directeur général du groupe Sud-Ouest, annonce qu’il est en train de structurer celui-ci autour de trois « verticales business » : le vin, l’économie (via le rachat cet été du média Placéco et ses événements, offres d’emploi et plateforme d’opportunités) et le rugby, à partir du mook Raffut !, la Coupe du monde 2023 en France en ligne de mire. Tout comme à La Dépêche où le Midi Olympique ? s’il n’est plus une source de profits pour le groupe ? reste avec le site Rugbyrama une activité à l’équilibre permettant de créer des événements (Festival du rugby organisé cet été à Toulouse et à Lille). Si le développement de la PQR hors de ses activités historiques est réel, il est difficile de parler de diversification, les recettes des grands acteurs provenant encore à plus de 75 % des médias (presse et sites, TV et régie).
(1) Co-auteur avec Richard Werly de Presse et territoires, une si fertile proximité, coll. L’Âme des peuples, Ed. Nevicata, oct. 2022.