Télécoms
Elle pourrait renforcer le rôle central du mobile dans l’univers digital et permettre de proposer de nouveaux formats publicitaires, mais l’arrivée de la 5G ne devrait pas pour autant chambouler le secteur.

Les derniers chiffres de la publicité digitale, publiés en juillet par le Syndicat des régies internet (SRI), le confirment : crise sanitaire ou pas, le mobile a encore accru sa prédominance au premier semestre 2020. « Tous devices confondus, le temps d’écran moyen quotidien par Français est de deux heures trente-cinq, et le mobile en représente aujourd’hui 61 % », note Emmanuel Amiot, partner chez Oliver Wyman, le cabinet qui a réalisé cette étude. Avec la 5G, « on peut faire l’hypothèse que le temps passé devant son mobile va s’accroître du fait d’une augmentation du temps total d’écran, pas par simple effet de substitution du desktop », poursuit le consultant.

Un mobile toujours plus central

Conséquence côté publicité, les investissements, calqués sur l’audience, ne font que grossir sur mobile. Toujours selon le SRI, il représente désormais 52 % de la publicité digitale en display, 60 % en search et jusqu’à 93 % en social. « Là aussi, on peut faire le pari que la 5G va amplifier cette tendance », relève-t-on chez Oliver Wyman.

Enseignant-chercheur au département stratégie et innovation de la Rennes School of Business, Mehdi Farajallah prévoit également que la 5G va mettre le smartphone « au centre de tout ». Mais surtout, c’est l’expérience publicitaire elle-même qui va être modifiée. Elle sera, selon lui, « plus immersive et plus visuelle ». « Un débit dix fois plus rapide que la 4G et encore plus rapide que la fibre optique, cela signifie que nous allons être capables de proposer des formats publicitaires plus innovants et plus lourds », confirme Christophe Collet, le fondateur de la société spécialisée en drive-to-store S4M. « Le mobile existe depuis 2004, j’ai connu la 2G, la 3G, la 4G et maintenant la 5G. Tout le monde a vu la différence entre la 3G et la 4G. Là, le gap sera le même », estime-t-il. Cela ira dans le sens de davantage « d’interactions et de gamification ». Mais il se refuse pour autant à voir dans l’arrivée de la 5G une inflation de l’espace publicitaire total : « Cela ne changera rien au volume. Ce n’est pas parce qu’il y a la 5G qu’on proposera plus de publicité qu’avant. »

Responsable de l’unité Labs chez Idate Digi­World, Vincent Bonneau considère que la 5G permettra « des cas d’usage plus riches et plus immersifs. On pourra ainsi regarder plusieurs flux vidéo en même temps, en les mixant ou en les commentant par exemple. »

Les possibilités sont multiples : « Aujourd’hui, quand on achète un produit, on s’appuie parfois sur le témoignage de gens qui ont acheté le même produit, à l’image de ce qui se passe sur un site comme Amazon, explique Mehdi Farajallah. Pourquoi ne pas imaginer demain, pour que ce témoignage soit encore plus palpable, qu’il soit diffusé en direct, sous forme de vidéo, avec quelqu’un de l’autre côté de l’écran qui vous parlera ? »

La vidéo, avec le jeu, constitue assurément l’un des secteurs qui ­devraient profiter le plus de l’augmentation de débit offerte par la 5G. « Dans ce contexte, on peut envisager un mélange de modèles payants et d’autres financés par la publicité, avance Emmanuel Amiot. Il est possible que l’on consomme davantage de bouquets de chaînes et de VOD, des offres payantes qui ont un effet plutôt défavorable sur la publicité », souligne le spécialiste.

La publicité devrait toutefois largement se refaire dans d’autres domaines, pense pour sa part Vincent Bonneau. YouTube, Instagram et les influenceurs, gros diffuseurs de vidéo, seront confortés. « Mais c’est surtout sur le jeu que la part de progression sur mobile est encore très importante, analyse le spécialiste d’Idate. Aujourd’hui, il y a des modèles comme Candy Crush, mais dès qu’on regarde des produits plus évolués, on en trouve moins. Demain, si des Fort­nite se développent sur mobile, cela pourrait embarquer tout le volant publicitaire comme source de financement, avec des modèles freemium où la publicité, comme du placement de produit, sera intégrée au jeu, sans coupure. »

Pas de rupture

Cependant, l’avènement annoncé de la 5G demeure entouré de nombreuses incertitudes pour le marché publicitaire. Les retours d’expérience de pays comme la Chine, au-delà d’un attrait pour le jeu vidéo et le streaming, manquent encore en matière de cas d’usage. Pour certains, la 5G ne devrait pas représenter, plus ­globalement, de réelle révolution. « Il y aura des innovations, mais pas de rupture, anticipe ainsi Vincent Bonneau. Le point essentiel, c’est que le marché publicitaire a été développé par quelques mastodontes qui n’ont pas forcément besoin de plus de performances pour continuer de le faire, ce n’est pas dans leurs priorités. Mais ceux qui peuvent faire basculer les choses, ce sont les acteurs de l’e-commerce comme Amazon. Ceux-ci ont commencé à grappiller des parts du marché publicitaire et peuvent avoir besoin de nouveaux formats pour mettre en valeur leurs produits. Il est possible alors que des ­formats mixant vidéo et 3D se développent », prévoit l’expert d’Idate.

« Mais est-ce que cela va fondamentalement changer le marketing digital ? » s’interroge Mehdi Farajallah, qui voit dans l’avènement de la 5G un changement de degré plus que de nature. Selon l’enseignant rennais, « la 5G va libérer du potentiel, le téléphone va devenir plus central, mais certains fondamentaux vont rester. Elle va rendre plus concrètes et plus palpables les promesses qui ont été faites par certaines des technologies actuelles : c’est un grand pas, mais ce n’est pas une innovation radicale pour le ­marketing digital. »

En matière de ciblage notamment, il ne faut pas s’attendre tout de suite à entrer, pour le meilleur et pour le pire, dans un monde à la Minority Report, où la publicité s’afficherait à la tête du client dans l’espace public. « Le ciblage se fait par l’identifiant du mobile et par le consentement qui est donné. Or, l’identifiant et le consentement, on peut déjà les avoir aujourd’hui. Ce n’est pas la 5G qui nous en donnera plus, ce n’est qu’une infrastructure », tempère également chez S4M Christophe Collet

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