Sirius y a brillé pendant vingt-cinq ans. Hubert Beuve-Méry, fondateur du quotidien Le Monde, avait choisi ce pseudonyme – désignant l'étoile du ciel la plus étincelante – afin de signer ses éditoriaux, joute ininterrompue avec le général de Gaulle durant près d'un quart de siècle. Place aujourd'hui à l'énigmatique Cassiopée, qui a signé cet été le feuilleton le plus intrigant de l'été: Chirac, le roman d'un procès, paru en dix-sept épisodes dans les pages du quotidien du soir du 3 au 21 août.
Ce récit de politique-fiction relate les tribulations judiciaires de l'ex-président de la République dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Jacques Chirac y ferait presque figure de personnage de Michel Audiard, tout en faconde («Tout ça pour des histoires de cornecul !»). Il y est entouré de protagonistes plus vrais que nature. Alain Juppé ne goûte guère les accolades du chef de l'État, Dominique de Villepin, lui, surjoue la virilité conquérante en «ponctuant chacune de ses phrases d'un coup de reins».
Et Nicolas Sarkozy? C'est sans doute pour lui que Chirac a les mots les plus terribles. Ceux, en tout cas, qui ont été les plus commentés par les observateurs du feuilleton. «Le drame de Sarkozy, lâche Chirac lors d'une longue tirade, c'est qu'il n'est pas transcendé par sa fonction. (...) Il a été un bon candidat. Mais c'est un mauvais président.»
La description a la cruauté de la vérité. À tel point que les commentateurs s'interrogent, à l'instar de Philippe Cohen, journaliste, sur le site de Marianne. Où commence la vérité, où finit la fiction? Au Monde, on entretient le flou. «Tout est faux et tout est vrai», résume Françoise Fressoz, chef du service politique et société du Monde. «Le récit est servi par une enquête au plus près des sources.» Qu'est-ce qui relève alors du «off» ? «No comment.»
Des lecteurs très friands
Le mystère agite les microcosmes journalistiques et politiques. Mais qui est donc Cassiopée? La description du milieu judiciaire – de la dentelle – et la justesse des portraits de politiques sembleraient désigner Pascale Robert-Diard, l'une des plumes du Monde, qui a débuté au service politique avant de devenir chroniqueuse judiciaire. À moins que ce ne soit Raphaëlle Bacqué, auteur de nombreux ouvrages politiques, dont plusieurs sur Chirac (notamment Seul comme Chirac, chez Grasset, et Chirac ou le démon du pouvoir, aux éditions Albin Michel) ?
Cassiopée cacherait-elle plutôt une constellation de journalistes du Monde, voire de contributeurs extérieurs? «Nous ne dévoilerons jamais qui sont les auteurs du feuilleton, même à l'occasion de sa sortie en librairie le 2 septembre», annonce François Fressoz.
De quoi alimenter les bruissements autour du vrai-faux roman. Le blog de l'avocat Philippe Bilger,«Justice au singulier», fut ainsi l'occasion d'une joute entre le pénaliste et l'ancien directeur de la rédaction du Monde, Edwy Plenel. Philippe Bilger y disait tout le bien qu'il pensait de la série, «une fiction remarquable, qui apparaît non seulement plausible mais presque réelle». Il y épinglait par contraste Edwy Plenel, qui avait qualifié Nicolas Sarkozy de «délinquant constitutionnel» dans une formule journalistique lapidaire. Un raccourci malheureux, selon l'avocat.
Réponse du journaliste, aujourd'hui patron de Mediapart: «Nonobstant les talents d'écriture qu'abrite sa signature curieusement anonyme, je ne vous cache pas préférer le travail sur le réel à ces essais romancés qui me semblent relever du divertissement plutôt que de la mission démocratique du journalisme.»
Au Monde, on constate en tout cas que les lecteurs sont de plus en plus friands de ces récits politiques au long cours, auxquels l'on donne plus de chair qu'à un article. Ce fameux art du storytelling que l'on a tant reproché… à Nicolas Sarkozy.