télévision
M6 lancera le 8 juillet Trompe-moi si tu peux, une émission estivale de télé-réalité qui se veut un jeu «où ce sont les autres qu’il faut tromper». Réaction du philosophe Bernard Stiegler.

Il faut croire que le groupe présidé par Nicolas de Tavernost ne sait plus quoi inventer pour faire mousser ses deuxièmes parties de soirée. Après Dilemme, l'émission de sa chaîne thématique W9 mise en demeure par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le 1er juin, pour atteinte à la dignité humaine (une candidate s'y promenait affublée d'un collier de chien et d'une laisse), M6 s'apprête à jouer de nouveau avec le soufre via un concept maison qui allie sexe, mensonge et vidéo. Son titre, Trompe-moi si tu peux, emprunte son nom au film de Spielberg Attrape-moi si tu peux, mais la référence auseptième art s'arrête là. Car l'émission hebdomadaire, qui sera diffusée à partir du 8 juillet et interdite aux moins de 12 ans, relève de la télé-réalité la plus crue. En atteste la bande-annonce: «Couples homos, couples hétéros, pendant deux semaines, 10 hommes et 10 femmes vont devoir faire semblant, devant leur vrai conjoint, d'être en couple avec quelqu'un d'autre.» Fini donc le temps où les couples illégitimes se cachaient pour survivre. Chez M6, c'est l'inverse: l'aimé(e) doit prendre toutes les attitudes (suggestives) de l'amant ou de la maîtresse dans des «jeux de rôle»: «Mordillement du lobe de l'oreille du partenaire, séance d'effeuillage mutuel, danse sexy, déclaration d'amour… Ose si tu peux !», vante le dossier de presse.

«Nous sommes partis d'un principe: qui est avec qui dans une soirée?, raconte Florence Duhayot, directrice de Studio 89. Le double sens du mot tromper est à l'image d'un programme sulfureux, mais avec de l'humour. On y voit des grands sentiments, de la jalousie, de la stratégie et de la passion.» La productrice refuse de préciser si elle a signé avec les candidats des contrats de travail, pour tenir compte de la jurisprudence Île de la tentation, où des participants avaient vu leur prestation sur TF1 requalifiée par la justice en 2009. Mais elle insiste sur le fait qu'il s'agit d'un «jeu avec de l'argent à la clé» (30 000 euros) destiné à «tester les relations humaines». «On n'a pas affaire, ajoute-t-elle, à onze personnes body-buildées, mais à des mélanges de physiques, avec des grands, des petites, des gros. Et toutes les tranches de la population sont représentés»… Heureux hasard, les «castings sauvages» menés sur Internet ou auprès d'amoureux interpellés dans la rue font quand même ressortir un organisateur de soirées, un mannequin et… une strip-teaseuse.

Chaque candidat fixe ses règles du jeu

Rassemblées dans une villa située en République dominicaine, les vrais couples ont d'autant plus de chances de gagner qu'ils ne sont pas découverts, donc pas éliminés (tout faux couple démasqué par erreur remporte 3 000 euros). D'après la productrice, c'est à chaque candidat de fixer ses règles du jeu même si «ceux qui ont moins de limites poussent ceux qui en ont davantage». Les faux homosexuels sont eux aussi priés de se plier à la «comédie de l'amour»… Bien sûr, la chaîne se défend de toute banalisation de l'adultère, dans la mesure où elle ne vise pas expressément à séparer les couples. Le philosophe Bernard Stiegler est plus catégorique en découvrant le concept de l'émission: «C'est abominable, déclare-t-il. L'infidélité systémique arrive au cœur de la télévision, comme de la société. Dans un monde de flexibilité où les gens doivent bouger, le mieux est parfois qu'ils divorcent! Et dans une société où il faut faire en sorte que l'objet de consommation soit tué le plus vite possible, l'obsolescence de l'homme suit l'obsolescence des produits. Mais comment vendre quand on a détruit le désir? Par des adaptations obscènes au système Madoff de tromperie généralisée. Au moment où ce système détruit le monde, on le pratique à la télé.» Attrapé, cette fois.

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