«Je revendique une forme de pugnacité dans l'info.» Attablé à un café de la place Denfert-Rochereau, à Paris, Laurent Mauduit se confie, ce 27 mai, sur le combat qui ne cesse de le mener sur les traces d'Alain Minc. En 2007, l'ancien directeur adjoint de la rédaction du Monde publiait Petits Conseils, un livre consacré à l'influence rémunératrice du président d'AM Conseil auprès de grands patrons du CAC 40.
Trois ans plus tard, le cofondateur de Mediapart est à la pointe de l'information sur les conseils intéressés, dans l'audiovisuel public, de celui qui passe pour un conseiller de l'ombre de Nicolas Sarkozy.
La privatisation de France Télévisions Publicité au profit du duo Lov-Publicis? «Un véritable scandale d'État», a écrit Laurent Mauduit dès février 2010. C'est lui qui a révélé qu'Alain Minc avait reçu de Stéphane Courbit un plan d'actions gratuites équivalent à 3% du capital de son holding, Financière Lov. C'est encore lui qui a rendu public que Philippe Santini, directeur général de la régie, avait été condamné définitivement, en cassation, en vertu du Code de procédure pénale, dans l'affaire de la fausse prise d'otages qu'il avait organisée en 2005.
Lui aussi qui a indiqué que le taux de régie avait été fortement relevé, de 7% en moyenne en 2008 à 17,5% en 2010. Lui, enfin, qui a court-circuité l'annonce de la nomination d'Alexandre Bompard à la tête de France Télévisions en dévoilant qu'Alain Minc l'avait donnée pour imminente «par vantardise», le 9 avril. D'où la colère de Nicolas Sarkozy.
Depuis, Laurent Mauduit affirme que l'éminence grise du chef de l'État est tombée en disgrâce. «Nicolas Sarkozy ignorait ce que Mediapart a révélé, à savoir qu'Alain Minc était financièrement intéressé à la prospérité du groupe de Stéphane Courbit, qui avait été choisi comme le repreneur – avant que les négociations avec France Télévisions ne soient suspendues», écrit Laurent Mauduit.
Un choix déchirant
Le secrétaire général de l'Élysée, Claude Guéant, jugerait aujourd'hui Alain Minc «encombrant». Nicolas Sarkozy tiendrait aussi rigueur à son «conseiller occulte» d'avoir dû différer l'annonce de la nomination d'Alexandre Bompard. Si le patron d'Europe 1 – proche d'Alain Minc – reste le grand favori pour France Télévisions, où il devrait être désigné à la fin juin (alors que Rémy Pflimlin prendrait la présidence d'Arte à la fin de l'année), la privatisation de la régie aurait tourné court.
Nicolas Sarkozy, qui se serait laissé gagner par les arguments de Jean-François Copé, serait plus enclin à conserver la publicité en journée. Et Alexandre Bompard pourrait inaugurer sa présidence à France Télévisions en donnant un gage d'indépendance vis-à-vis de ses mentors Stéphane Courbit et Alain Minc…
Mais, au fait, pourquoi cette obsession anti-Minc? «Quand je m'installe dans une histoire, je ne bouge plus», répond Laurent Mauduit, surnommé «M le Mauduit» quant il était à Libération. Il continue de la même manière à «chroniquer» la Caisse d'épargne, ce qui a valu à Mediapart des poursuites, puis de faire condamner en janvier 2010 le groupe bancaire, pour «procédure abusive».
Alain Minc et la Caisse d'épargne? L'un et l'autre sont intimement liés dans la vie de Laurent Mauduit. C'est en voulant révéler dans Le Monde, en 2005, que le président de la banque, alors Charles Milhaud, avait été épinglé par un rapport de l'inspection des finances pour des avantages reçus – l'octroi d'un deuxième plan d'épargne logement – que le journaliste s'est vu censuré (il avait écrit un mois auparavant que la Caisse d'épargne avait été condamnée à 1 million d'euros en Commission bancaire pour «manquement grave aux règles de gouvernance»). Il découvre alors qu'Alain Minc, présidence du conseil de surveillance du journal, est conseiller de Charles Milhaud, que les Caisses d'épargne ont pris pour 5 millions d'euros d'obligations remboursables en actions dans Le Monde SA et qu'elles sont sollicitées dans un montage financier du Monde concernant le Midi libre. D'où le choix «déchirant» de quitter sa rédaction dans un contexte de recapitalisation au profit de Prisa et de Lagardère.
Précautionneux
Et maintenant? Laurent Mauduit s'est installé dans une autre histoire, celle de France Télévisions Publicité. Il affirme que le groupe public a renégocié avec sa régie publicitaire, en juillet 2009, sans respecter le code des marchés publics européen. S'il pouvait se passer d'appel d'offres pour une filiale à 100%, le groupe aurait dû s'ouvrir à la concurrence dès lors qu'un projet de privatisation partiel était engagé.
Or, deux mois auparavant, la banque Rothschild entamait le processus de privatisation de France Télévisions Publicité. Ce qui laisse augurer des recours en justice de parties adverses écartées si d'aventure le projet de cession est maintenu en l'état…
Après avoir raconté que Philippe Santini avait œuvré dès 2004-2005 pour privatiser au moins partiellement sa régie avant d'obtenir satisfaction avec le projet Courbit-Publicis (où les cadres et le personnel doivent prendre 15% du capital), Laurent Mauduit a estimé à 2,6 millions d'euros le coût de la privatisation, et non 20 millions comme annoncé par les acquéreurs, compte tenu de la trésorerie de la régie. France Télévisions, qui avait entamé un référé pour obtenir le retrait de documents internes publiés à cette occasion, a été débouté.
«Je suis très précautionneux car je suis en risque judiciaire», confie le journaliste, qui s'intéresse aujourd'hui à «l'explosion des parts variables des dirigeants de la régie». Quid d'Alain Minc, dont l'étoile pâlit? «Je me demande si je ne survalorise pas son rôle», ajoute-t-il. Il ne manquerait plus que «l'entremetteur du capitalisme français» profite de sa légende noire…