Il se réclame du patron du New York Times, Arthur Sulzberger. Pierre Haski, président de Rue 89, le cite en substance: «Nous ne sommes pas producteurs de papier ni d'écrans, nous sommes des fabricants d'information.» Car c'est bien un mensuel papier que Rue 89, né en mai 2007 avec son site Internet, a lancé le 16 juin.
Pierre Haski, ancien de Libération, devance d'emblée les critiques: «Pour nous, ce nouveau titre est une évolution logique. Nous ne le voyons pas du tout comme un retour au papier, mais comme un complément naturel au site.» D'ailleurs, comme le précise Pascal Riché, cofondateur de Rue 89 et lui aussi ancien de Libération, «nous en avions l'idée depuis le début du projet».
Avec ce mensuel, sobrement intitulé Rue 89, les fondateurs l'avouent: les risques sont limités. En plus de son site, qui reçoit chaque mois 1,5 million de visiteurs uniques, Rue 89 s'est lancé dans la prestation de services, avec le développement de sites pour des clients comme Le Nouvel Observateur, mais aussi les formations – notamment à l'écriture Web. Aujourd'hui, le modèle économique du groupe (1 million d'euros de chiffre d'affaires) repose à 60% sur la publicité, et à 40% sur ses autres activités, ce qui devrait lui permettre d'atteindre l'équilibre à la fin 2010 et d'être bénéficiaire en 2011.
Effet de surprise
«Le mensuel permettra à Rue 89 d'être vraiment dans la rue, et de mieux faire connaître le site au marché publicitaire», souligne Pierre Haski. Aux manettes, l'ancien directeur général des Inrockuptibles, Frédéric Allary, parti suite à des dissensions avec le nouveau patron du magazine, Matthieu Pigasse (par ailleurs actionnaire «dormant» de Rue 89): «Il a été facile de réaliser ce magazine, car la marque est installée, le contenu à disposition, et l'audience au rendez-vous.»
Petit format, couverture riche en sujets: le titre repose sur ce que Pierre Haski appelle la «sérendipité», de l'anglais «serendipity», terme qui désigne la surprise devant ce que l'on ne recherche pas. On trouve donc dans le mensuel des sujets comme «Si je fais l'amour dans la rue, je risque quoi?», «Où sont logés les ministres?» ou une rubrique intitulée «Dans le détail» qui se penche sur «ce qui se passe quand il ne se passe rien» – ici, les micro-événements de la vie à Beaubourg.
Le mensuel, composé aux deux tiers de contenus du site retravaillés pour le papier et à un tiers d'article inédits, vise avant tout les fidèles du site, avec des objectifs modestes: 30 000 exemplaires, avec un tirage de 80 000 et un point mort à 20 000, pour un prix à 3,90 euros, «moins que le mensuel du Monde, à 5,90 euros», souligne Laurent Mauriac, troisième cofondateur de Rue 89. Le titre est lancé avec un budget promotionnel modique: «Il n'est pas dans notre culture de faire appel à des agences de publicité. Notre agence, c'est Rue 89.»
On parle beaucoup, c'est vrai, de Rue 89 dans les médias. Récemment, à propos de l'un des journalistes du site, Augustin Scalbert, mis en examen pour «vol, recel et contrefaçon» après la diffusion de propos tenus hors antenne par Nicolas Sarkozy sur France 3, le 30 juin 2008. «La procédure est cynique, parce qu'elle ne porte pas sur le droit à l'information, mais uniquement sur le terrain de la propriété intellectuelle», estime Pierre Haski. «Si Augustin Scalbert est condamné, cela pourrait faire jurisprudence, ajoute Pascal Riché. Cela signifierait que l'on n'a plus le droit de se servir d'un document extérieur. Et que, par conséquent, il n'y aura plus aucun scoop en France.»