Contesté par un raider, Arnaud Lagardère va devoir s’expliquer sur sa stratégie devant ses actionnaires, le 27 avril. Une assemblée générale qui s’annonce houleuse.

Le 19 mars dernier, Yannick Bolloré discute à bâtons rompus avec un petit groupe de journalistes à l'occasion de la présentation des résultats du groupe du même nom. «Maintenant que Lagardère se désengage des médias...», lâche-t-il au détour d'une phrase.

 

Étonnement autour de lui : Bolloré est bien entré en négociations exclusives avec Lagardère pour lui racheter Virgin 17, et Lagardère vient de confirmer son intention de vendre ses 20% dans Canal + France ou de céder les actifs où il est minoritaire dans la presse. Mais, de là à dire que le premier groupe mondial de presse magazine se désengage des médias...

L'anecdote est révélatrice de l'absence de lisibilité de la stratégie de ce groupe à l'heure où le raider Guy Wyser-Pratte demande, pour l'assemblée générale du 27 avril, à mettre fin à une politique dépréciative de conglomérat et d'en finir avec la commandite qui protège son capital.

 

Le pôle médias, qui a enregistré 389 millions d'euros de pertes nettes en 2009, sera-t-il sacrifié pour séduire les marchés ? « Je suis convaincue qu'Arnaud Lagardère n'a pas le désir de se séparer de ses actifs médias », assure Constance Benqué, présidente de la régie Lagardère Publicité, qui le voit tous les mois dans des réunions de «reporting». Il est donc faux, ajoute-t-elle, de dire qu'il n'est jamais là.

Mais d'autres sources internes rappellent qu'il passe beaucoup de temps aux États-Unis, où sont installés femme et enfants, qu'il a cédé à Didier Quillot, PDG de Lagardère Active, son bureau à Europe 1, et à Dominique D'Hinnin, cogérant du groupe, les rênes de l'entreprise.

«On approche d'une vérité impressionniste, note Jean-Clément Texier, banquier spécialiste des médias. Jean-Luc Lagardère avait compris qu'Arnaud ne serait jamais un ingénieur dans la défense et l'aéronautique. D'où sa montée en puissance dans les médias. Mais est-ce qu'au fond, ce domaine intéressait son fils?»

Longtemps, l'homme a endossé le couplet paternel «moi, c'est lui et lui c'est moi». Il s'agissait de poursuivre le rêve d'un père bâtisseur en conquérant une place de choix dans la télévision, après la déroute de La Cinq en 1992.

Aujourd'hui, la décision de vendre ses 20% dans Canal+ montre que Lagardère a renoncé au métier de diffuseur audiovisuel. S'il reste présent dans Gulli, il cherche à vendre aussi ses chaînes thématiques Canal J, MCM et Mezzo. Et dire qu'au plus fort de la crise de Vivendi, Canal+ apparaissait à portée de main pour «un euro symbolique»...

 

De même que Martin Bouygues s'est inventé un avenir dans les télécoms et le nucléaire, Arnaud Lagardère cultive son jardin. S'il se fait un plaisir d'encourager les champions du team Lagardère sur les courts, c'est aussi que le marketing et le négoce de droits sportifs mobilisent son attention depuis le rachat de Sportfive.

Il a placé l'un des ses deux poulains, Olivier Guiguet, à la tête de sa branche sport. Tout en confiant à l'autre, Arnaud Molinié, le soin de développer Lagardère Entertainment. Une façon d'afficher une ambition dans la production de spectacles et de divertissement, qui sont autant de contenus susceptibles de se monnayer sur les plates-formes numériques.

 

Dès lors, plusieurs lectures sont possibles. « Si Arnaud Lagardère mettait le cap sur l'entertainment, se développait dans les paris et lançait par exemple une OPA sur le groupe Barrière, observe un financier, ce serait peut-être cohérent, mais rien ne dit que s'il vendait ses actions pour se recréer un empire, il ne ferait pas des moins-values partout sachant qu'il s'est endetté pour monter à près de 10% d'actions dans son groupe contre 5 à 6% lorsqu'il a hérité. »

 

L'autre option serait de se désengager de Lagardère active qui a vu ses recettes publicitaires fondre de 24% en 2009 (-11,6% en France) sachant qu'il a déjà multiplié les signes de son goût modéré pour les médias traditionnels. Fin 2006, alors qu'il a auguré dans le JDD la mort prochaine de la presse écrite, il a ainsi estimé que ses métiers dans les médias allaient être attaqués de front par le numérique.

D'où la tentation de désinvestir ou de sortir complètement de Lagardère active. D'où aussi le clash avec l'un des anciens barons, Gérald de Roquemaurel, qui souhaitait pouvoir continuer à investir dans les magazines.

 

À la différence de son père, Arnaud Lagardère ne se sent aucune affinité avec le monde de la presse. En témoigne sa gestion jugée désinvolte du dossier Presstalis qu'il rechigne à recapitaliser, se considérant non plus comme un opérateur mais comme un éditeur parmi d'autres.

Associé à sa non-implication dans le dossier EADS depuis le soupçon de délit d'initié dont il est sorti blanchi par l'AMF, en décembre dernier, ce désintérêt le rend aussi plus vulnérable. «Il pourrait annoncer sa sortie de Presstalis après avoir pris ses responsabilités d'actionnaire, analyse Jean-Clément Texier. Ce n'est pas la commandite qui rendait Jean-Luc Lagardère indéboulonnable mais sa position dans l'organisation militaro-industrielle du pays.»

Pour protéger la «forteresse» fustigée par Wyser-Pratte, Arnaud Lagardère a préféré s'attacher les services d'un champion de la communication de crise, Ramzi Khiroun (ex-Euro RSCG), qui s'est fait connaître en servant de garde rapprochée à DSK. L'homme préconise aujourd'hui le silence et de laisser passer l'orage. Il n'est pas sûr que la stratégie du parapluie fermé suffise à éviter les intempéries...

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