Flore Jachimowicz est membre du comité exécutif, directrice RSE et innovation d’Icade, acteur immobilier coté au SBF 120 et détenu à 40% par la Caisse des dépôts. Elle explique les mutations du secteur du bâtiment.
Rappelez-nous le périmètre d’activité d’Icade et son lien avec la RSE.
FLORE JACHIMOWICZ. Icade est un acteur immobilier intégré, à la fois foncière et promoteur. En tant que foncière, nous construisons, gérons et louons un portefeuille de bureaux et de parcs d’activités, comme le Parc des Portes de Paris ou Paris Orly-Rungis. Nous sommes également le cinquième promoteur en France et produisons chaque année 5 000 logements, dont des logements sociaux et abordables notamment pour les primo-accédants. Pour les Jeux de Paris 2024, nous avons construit le Village des Athlètes transformé en logements, bureaux et commerces.
Cela fait plus de vingt ans que nous mettons la RSE au cœur de notre stratégie. Nous avons été la première entreprise française à soumettre une résolution climat et une résolution biodiversité cette année en assemblée générale. Toute la communauté des « Icadiens » est embarquée dans cette stratégie, avec la création il y a un an de l’Icade Climate School, un programme de formation en partenariat avec Axa Climate. 15 % de la rémunération variable des salariés est liée à des objectifs RSE.
Le bâtiment est un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Quel est votre plan d’action pour réduire votre impact ?
Le secteur du bâtiment représente 25% des émissions de CO2 en France, et 40 % de la consommation énergétique. C’est le troisième secteur le plus émetteur après le transport et l’agriculture. Nous nous sommes fixés des objectifs ambitieux de réduction de nos émissions, validés par l’organisme de certification SBTi. D’abord en intensité, c’est-à-dire en nombre de kg de CO2 émis par m² construit ou exploité : sur la foncière, nous visons une baisse de 60% à 2030 par rapport à 2019. Fin 2023 nous étions déjà à -35% ; sur les activités de promotion, l’objectif est de -41% en 2030, nous étions à -12% en 2023. Mais nous avons pris aussi des engagements en valeur absolue : -28% de tonnes de CO2 en 2030 et -90% en 2050. L’enjeu est là. Nous avons déjà réussi à baisser de 21% fin 2023.
En quoi le changement climatique affecte-t-il votre activité ?
Les risques sont connus : vagues de chaleur, inondations, retrait du trait de côte, gonflement et rétractation des argiles liés aux sécheresses. L’inconnue, c’est leur intensité. Nous devons donc nous adapter, transformer nos immeubles, respecter les meilleurs standards de la réglementation environnementale, notamment la RE 2020. Nous avons un cadre contraignant, mais qui nous oblige à agir et à anticiper pour répondre au climat de demain.
Quelles mesures mettez-vous en place ?
Nous agissons sur les trois phases de la chaîne de valeur de l’immobilier : la construction, l’exploitation et la restructuration. Il faut construire majoritairement sur des terrains déjà artificialisés, imaginer une architecture bioclimatique (aération naturelle, brise-soleil…) et utiliser des matériaux biosourcés, ce qu’on appelle le nouveau BTP : bois, terre, paille et pierre. Ce sont des matériaux qui émettent beaucoup moins de carbone que le béton. La réglementation environnementale pour le bâtiment impose des seuils de carbone à respecter, et nous avons fait le choix d’être en avance de deux ans. Depuis le 1er janvier 2023, 100% de nos permis de construire sont déposés en RE 2025. Le Village des Athlètes a été construit en équivalent RE 2031.
Sur la partie foncière, nous menons chaque année un programme ambitieux de travaux pour adapter notre patrimoine afin qu’il soit plus efficace thermiquement et donc moins émetteur de CO2. Nous isolons, changeons les huisseries, remplaçons les chaudières par des pompes à chaleur. Nous avons adapté cette année un immeuble des années 80 à un scénario à + 4°sur notre parc de Rungis. La ville de 2050 existe déjà à 80%, la restructuration de l’existant est donc stratégique. Nous avons développé l’offre AfterWork qui vise à transformer des immeubles, bureaux et hôtels, en logements et résidences, en les restructurant entièrement. On estime qu’un projet de restructuration permet d’économiser 30% de carbone par rapport au fait de détruire et de reconstruire.
Enfin, en aval, sur la restructuration et la rénovation, nous considérons chaque bâtiment comme une banque de matériaux, c’est-à-dire que nous récupérons le maximum de composants et nous les réemployons avec les acteurs de l’écosystème, autant que possible localement pour limiter les transports.
Quelles sont vos initiatives pour la biodiversité ?
Dans toutes nos grandes opérations, nous redonnons des m² à la nature, nous créons des jardins, des parcs, des espaces de pleine terre, des toits végétalisés si c’est possible. L’objectif est de s’adapter aux nouvelles conditions climatiques. Un degré de plus, c’est 7% d’humidité supplémentaire dans l’atmosphère. En France, on va aller vers un climat plus humide avec de fortes averses et des saisons très sèches. Le fait de revégétaliser, de renaturer des espaces artificialisés permet de créer des bulles de fraîcheur pendant l’été et d’avoir un sol drainant qui pourra absorber de grandes quantités d’eau lors du retour des pluies. C’est ce que nous avons fait à Aubervilliers avec une forêt urbaine de 1,5 hectare.
Préserver la biodiversité, c’est aussi reconstruire la ville sur la ville pour ne pas artificialiser. Nous avons conçu une méthodologie spécifique, Ville en Vue, pour transformer les entrées d’agglomérations, souvent délaissées.
Pourquoi avoir réuni la RSE et l’innovation ?
La RSE fixe le cap, aide à la mise en place de plans d’action pour atteindre nos objectifs. L’innovation trouve des solutions de façon agile, prospective, notamment en lien avec des start-up. Cette double casquette répond à la nécessité de construire autrement pour s’adapter au bouleversement climatique. Le statu quo n’est plus possible, il nous faut trouver des solutions nouvelles. Nous avons un studio d’innovation, Urban Odyssey, qui co-crée ces solutions avec des entrepreneurs, en prenant des participations minoritaires dans des start-up et en les aidant à accéder au marché avec nos équipes d’experts.