SUPPLÉMENT RÉGIONS

En dépit de sa longévité, le format des sociétés coopératives et participatives (Scop) reste méconnu. Il refait surface au gré des crises économiques puis retombe dans les limbes médiatiques. Pourtant, ce statut constitue une option à retenir par temps clair.

Scop… Cet acronyme a refait parler de lui à l’occasion des déboires de Duralex, société bien connue pour ses verres de cantine ultra-résistants. À deux doigts de la casse, cette marque emblématique du Centre-Val de Loire a été reprise par ses salariés en société coopérative et participative. La Scop : un vrai monstre du Loch Ness qui va, qui vient dans le flux d’informations économiques, et souvent par temps de grisaille. Est-elle attachée aux seules causes désespérées ? On est en droit de s’interroger.

Un SOS juridique ?

Claude Ferrandi raconte. Nous sommes en 2017. Le club de foot de Bastia dégringole de la Ligue 1 en cinquième division (National 3). C’est la banqueroute sportivement et financièrement. Aussi ce grand patron spécialisé dans les produits pétroliers décide-t-il de reprendre le Sporting Cub en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). « Une démarche peu banale dans le monde du foot – loin s’en faut , plus habitué aux fonds d’investissement », déclare-t-il. Les montres Lip avant-hier, plus proches de nous les thés Éléphant, les glaces Pilpa, Duralex cet été, Bergère de France mi-octobre, tant de savoir-faire sauvés de l’ornière économique grâce à une coopérative. Est-elle SCIC ? Ou Scop ? Un salarié valant une voix ? Avec ou sans ouverture à des collèges de personnes extérieures à l’entreprise, comme les collectivités locales, par exemple ? « L’hétérogénéité est grande, note Chrystel Giraud-Dumaire, directrice de la communication de Coop FR, de quoi brouiller le message. Les pouvoirs publics ont même du mal à comprendre. Ce n’est pas quelque chose de parisien, c’est peut-être aussi pour ça que nous n’en entendons pas parler. »

À cette litanie de noms d’entreprises bancales reprises en Scop, Chrystel Giraud-Dumaire aime opposer JouéClub, Système U devenu Coopérative U, Krys, Atol ou bien encore Optic 2000. « La saga Duralex a fait ressurgir les vieux a priori, déplore-t-elle. Les Scop seraient pour les entreprises en difficulté. Or, c’est un modèle très compétitif, un modèle costaud. » Seules 8 % des 4 000 Scop – dont 300 dans la communication – sont issues de la reprise d’entreprises enchevêtrées dans des difficultés. Ce modèle peut être choisi dès la création. Et à juste titre. Le taux de pérennité à cinq ans continue d’augmenter. Il est de 79 % pour les coopératives en 2023, contre 61 % pour l’ensemble des entreprises françaises, d’après l’Insee. Un taux en augmentation de trois points par rapport à 2022.

Séverin Prats a lancé sa start-up directement en Scop. Son nom : éthi’Kdo. « C’est un peu un grand écart entre deux mondes, reconnaît-il, avec la sensation d’être un ovni, à ne pas vouloir faire de la croissance à tout prix. » Pas de quoi freiner pour autant sa première levée de fonds de 675 000 euros pour ses cartes et coffrets cadeaux écoresponsables et solidaires. Autre exemple : Céline Lemaire et Fanny Moulin ont créé Yokwé Films, société de production audiovisuelle, en Scop. « Au lieu d’épargner, on réinjecte dans le système, décrivent-elles. Une façon nouvelle d’envisager la société. » Parce qu’il n’y a pas que les chiffres qui comptent… « On parle de transmission de valeurs, note François-Xavier Verdes, avocat associé au sein du cabinet vannetais Maeker Avocats. La coopérative a une dimension sociale et éducative. »

De purement économique, le discours se fait politique. Les mots d’entraide, de proximité, voire d’indépendance reviennent dans toutes les interviews, de Yokwé Films à Coopérative U… « Avoir le soutien des banques est compliqué, aussi on aide à monter le plan de financement, explique Fatima Bellaredj, déléguée générale de la Confédération générale des Scop. Nos propres fonds sont mobilisés. On est le premier euro investi pour mettre en confiance les autres financeurs. » Cela se sait peu : les salariés de Duralex ne représentent que 10 % à 20 % du tour de table. En dix ans, le nombre d’emplois dans des Scop a été quasi multiplié par deux, passant de 50 000 à 85 000 en 2023. Objectif : les 100 000 pour 2026.

La grande sœur de l’entreprise à mission

La coopérative, quelle que soit sa forme, c’est la quête de sens avant son heure médiatique. « Elles ont longtemps porté les innovations sociales. Elles sont là où vivent les gens, ancrées dans leur territoire, martèle Chrystel Giraud-Dumaire. Elles sponsorisent les événements locaux. Vous ne verrez pas BNP Paribas le faire ! Les entreprises à mission sont héritières de l’idéal des coopératives. Tout ce dont elles parlent aujourd’hui, nous étions déjà dessus. Mais elles sont sans doute un peu plus sexy. »

Quand les recruteurs peinent à pourvoir leurs postes vacants, la coopérative peut faire toute la différence, être un « aimant à futurs collaborateurs ». Pas de difficultés pour embaucher chez éthi’Kdo. « Si nous n’étions pas en Scop, avec les salaires que nous proposons, nous aurions du mal », souligne Séverin Prats. Établie à Paris, Morgane Stoyanov ne cherchait pas d’emploi en Bretagne. Pas d’attaches particulières de ce côté-là à mettre en avant. « Dans l’annonce, j’ai lu “Scop”. Clairement, cela a fait pencher la balance, explique-t-elle, même si c’est un gros projet de tout quitter. La Scop rentrait dans mes valeurs. » Depuis novembre 2021, elle est une heureuse cheffe de projet communication au sein de l’agence Appaloosa, spécialisée dans les messages adressés aux agriculteurs, et située à Plouigneau, bourgade de 5 047 Ignaciennes et Ignaciens. Autre expression de cette attractivité : cinq à dix nouveaux adhérents entrent dans la galaxie JouéClub chaque année.

Mais tout n’est pas idéal. « Le revers ? Dans le foot, il faut beaucoup d’argent. Or, il n’y a pas de place pour la spéculation, rechercher des partenaires financiers n’est pas possible, explique Claude Ferrandi. C’est un modèle vertueux qui contraint à ne pas avoir beaucoup d’ambition. Mais nous ne regrettons pas de l’avoir fait. Cela fédère tout le monde. » Le message en filigrane est qu’un rétropédalage n’est pas impossible. Porte-parole de JouéClub, Franck Mathais pointe pour sa part la problématique du développement à l’international. « Le développement est souvent embryonnaire et se limite aux pays limitrophes comme l’Italie et l’Espagne… » « Parfois, ce format est perçu comme une entreprise marxiste à l’étranger », résume Thierry Desouches, porte-parole de Coopérative U.

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