Joachim Roncin est le directeur du design de Paris 2024, à la tête d’une équipe d’une vingtaine de personnes. Il explique sa mission de créer l’identité d’un événement mondial, éphémère mais qui doit aussi laisser une trace durable.
Quel est le fil directeur des Jeux de Paris en matière de design ?
Joachim Roncin. Nous avons commencé à travailler sur la vision il y a presque cinq ans avec Tony Estanguet, le président de Paris 2024, et Thierry Reboul, le directeur de la marque, des événements et des cérémonies. Avant d’avoir une réflexion sur l’esthétisme, on a réfléchi sur le sens que l’on voulait donner à l’événement. L’esthétisme est subjectif. On s’adresse à une audience mondiale, on peut plaire ou déplaire. L’objectif était de faire rayonner la France, de démontrer sa puissance créative sans passer par des clichés. On nous attend sur la mode, pas forcément sur le design et le graphisme. Il fallait créer quelque chose de fort, d’unique, de rupturiste, mais avec du sens. Certains points saillants sont apparus assez rapidement : la révolution par le sport, le rapprochement entre l’olympisme et le paralympisme.
Comment exprimer la révolution par le sport ?
Elle s’exprime de multiples façons, à commencer par la volonté de sortir la cérémonie d’ouverture des stades. Pour l’identité des tenues de l’Équipe de France, cela fait 100 ans que l’on représente le coq de profil, avec un côté chauvin qui manquait d’inspiration pour les athlètes. On a gardé l’idée de fierté nationale mais en rajoutant l’envie de gagner, de regarder la compétition dans les yeux. On a placé le coq en frontal, dans une posture conquérante. Il représente aussi la flamme olympique. On aime cette double lecture, comme dans l’identité des Jeux, qui figure à la fois une femme, une flamme et une médaille d’or.
Les couleurs sont plutôt douces, pourquoi ce choix ?
On a pensé les couleurs au regard du décor parisien, qui est le plus beau décor du monde. Il ne fallait pas l’écraser. On a choisi un bleu de Sèvres, le vert du toit de l’opéra Garnier, le violet des champs de lavande en clin d’œil aux épreuves qui auront lieu dans le sud de la France. Certaines couleurs sont plus pastel, d’autres plus contrastées. En référence au centenaire des JO de Paris de 1924, on s’est inspiré de l’Art déco et du mouvement de l’orphisme de Sonia Delaunay, qui décomposait la lumière. On souhaite retrouver cet esprit joyeux et coloré en arrière-plan des épreuves, comme une mélodie visuelle. Notre typographie propriétaire est aussi issue de cet héritage graphique. Nous voulons être un reflet de l’époque tout en se plaçant au-dessus des tendances.
Les affiches signées Ugo Gattoni détonnent par rapport aux précédentes éditions. Pourquoi avoir voulu ce style foisonnant ?
Nous ne sommes plus dans l’époque des grands affichistes. On a tous un téléphone portable, on a accès à l’information, l’affiche a moins un caractère informatif. Elle doit être une invitation à se poser, à regarder, à être moins dans le bruit et plus dans la contemplation.
Il y a eu trois grandes tendances dans les affiches olympiques : jusque dans les années 50, elles étaient un hommage à la force athlétique, souvent masculine, puis il y a eu la tendance minimaliste, avec un logo sur fond neutre. Aujourd’hui, on raconte une histoire, celle des athlètes, du public et de l’événement.
Dans le cahier des charges donné à Ugo, on voulait un diptyque pour raconter tout le projet Paris 2024. Les deux parties ne fonctionnent pas l’une sans l’autre. Fin mars, nous en étions à 70 000 ventes en un mois, contre 5 000 exemplaires vendus en moyenne sur les précédentes éditions.
Cette affiche permet aussi de se reconnecter à l’enfance, au jeu. Jusqu’à présent, on s’adressait aux enfants uniquement à travers la mascotte. La Semaine olympique et paralympique dans les écoles fait partie intégrante du projet Paris 2024. Le slogan « Ouvrons grand les Jeux » invite tout le monde à se sentir concerné.
Sur les médailles, comment avez-vous travaillé avec la maison Chaumet ?
Les médailles ont été conçues en réflexion avec la Commission des athlètes. L’idée d’insérer un morceau de la tour Eiffel préexistait au design. Les équipes de Chaumet ont apporté leur expertise du sertissage et la notion de rayonnement. Il y a eu beaucoup d’échanges, avec un haut degré d’exigence et beaucoup de fluidité. Même chose pour la torche conçue avec Mathieu Lehanneur et ArcelorMittal. Elle est en acier au lieu de l’aluminium, ce qui la rend beaucoup plus complexe. Mais le résultat final est pratiquement identique à l’idée du début.
Quel est le droit de regard du CIO (Comité international olympique) sur le design ?
Le CIO pose le cadre. Certaines choses sont non négociables, comme les mascottes, la torche, les pictogrammes sportifs. Pour ces derniers, on voulait des pictos qui racontent le sport sans représentation de silhouette, comme des blasons, pour renforcer le sentiment d’appartenance. Il n’y a pas eu de veto.
En tant que garants de l’identité, nous travaillons avec les partenaires pour la création de leur merchandising, notamment pour l’utilisation des anneaux olympiques qui sont l’une des identités les plus connues au monde. Par exemple, nous avons eu des mois d’interaction avec Decathlon pour intégrer le look des jeux sur la marinière qui équipera les volontaires. Il y a énormément de coconstruction et beaucoup d’enthousiasme de toutes les équipes concernées.
Les différents intervenants sur le design des Jeux
Dans l’ordre chronologique, c’est d’abord l’agence Royalties-Ecobranding qui a créé l’emblème de l’événement, représentant en positif et négatif un visage de femme et la flamme olympique. W Conran Design (ex-W & Cie) a conçu le « look » des Jeux olympiques et paralympiques [JOP], la signalétique, les pictogrammes, l’animation des mascottes. Le designer Mathieu Lehanneur a imaginé la torche olympique, de forme symétrique pour la première fois, pour exprimer l’inclusivité et la parité, ainsi que la vasque qui sera dévoilée lors de la cérémonie d’ouverture. L’artiste Ugo Gattoni signe la double affiche officielle dans l’esprit « Où est Charlie ? ». LVMH, partenaire premium des JOP, est présent à travers les tenues de l’Équipe de France pour la cérémonie d’ouverture avec Berluti, les médailles avec Chaumet, les écrins des médailles et des torches avec Louis Vuitton, et une surprise en ouverture avec Dior.