Première secousse en France après la révélation d'un scandale de corruption qui vaut une inculpation au cofondateur d'Altice au Portugal: une dirigeante du groupe de télécommunications, maison mère de SFR, a été suspendue de ses fonctions mercredi 2 août dans le cadre d'une enquête interne.
Onde de choc dans la maison Altice. Lors d'un comité social et économique (CSE), Arthur Dreyfuss, PDG d'Altice France, a rapporté avoir suspendu la directrice exécutive des contenus, acquisitions et partenariats du groupe, Tatiana Agova-Bregou, mise en cause dans des écoutes de la justice portugaise, ont expliqué à l'AFP des sources syndicales. Selon des médias portugais, celle-ci aurait bénéficié de luxueux cadeaux et d'une propriété en région parisienne de la part d'Armando Pereira, l'homme d'affaires au coeur du scandale qui a conduit les enquêteurs à mener une série de perquisitions, notamment au siège d'Altice à Lisbonne.
Celui-ci a fondé Altice avec le milliardaire français Patrick Drahi et était encore depuis un an le conseiller du PDG et du comité exécutif d'Altice France. Il est notamment accusé d'avoir mis en place un réseau de fournisseurs douteux, au centre de la politique d'achat du groupe, et par lesquels il aurait prélevé des sommes importantes. « L'UNSa attend de l'enquête interne qu'elle s'assure qu'il n'y a pas de système de prédation des richesses à l'intérieur du groupe », a déclaré le syndicat majoritaire au sein du groupe lors du CSE.
Drahi «trahi» ?
Les acteurs sociaux ont voté à l'unanimité une résolution exigeant « la plus grande transparence sur les audits qui vont être menés dans le groupe Altice France » et « l'ouverture d'une discussion pour s'accorder sur les modalités de participation des élus et de leur expert aux enquêtes et audits ».
Depuis le 13 juillet et la révélation d'une perquisition au siège d'Altice Portugal, l'affaire éclabousse tout le groupe. Plusieurs dirigeants ont été suspendus, dont le PDG d'Altice USA, Alexandre Fonseca, nommé en mars dernier et précédemment à la tête de la filiale portugaise. D'autres mesures pourraient être prises en France, « dans les prochains jours ou semaines », a déclaré Arthur Dreyfuss lors du CSE, sans qu'il ne s'agisse selon lui d'une « chasse aux sorcières ».
Poursuivi avec quatre autres personnes et assigné à résidence, Armando Pereira est soupçonné dans cette affaire de 11 délits de corruption et blanchiment d'argent. Il a réfuté, par l'intermédiaire de son avocat, les soupçons qui pèsent sur lui. Mais de nombreuses questions se posent sur la gouvernance d'Altice et sur les raisons qui pourraient expliquer comment de telles pratiques ont pu perdurer sans être remarquées.
Chose rare, Patrick Drahi prévoit de prendre la parole devant les investisseurs et créanciers les 7 et 8 août prochains, à l'occasion des résultats semestriels d'Altice France et d'Altice International. Les dirigeants du groupe assurent pour le moment avoir découvert ces pratiques le 13 juillet. « On n'est jamais trahi que par les siens », a déclaré mercredi Arthur Dreyfuss, désireux d'ouvrir « une nouvelle page ». Mais l'inquiétude et l'amertume dominent chez les salariés, qui s'étaient battus contre un important plan social en 2021, alors que le groupe est confronté à un lourd endettement qui inquiète les marchés au moment où les taux d'intérêt remontent.
« Si les salariés ont été lésés, il faudra leur payer une contrepartie », a déclaré à l'AFP Abdelkader Choukraine, délégué syndical central de l'UNSa.« Au quotidien, les dépenses sont la chose la plus surveillée dans le groupe. C'est d'une telle ampleur, tellement disproportionné par rapport aux contrôles qu'on subit quotidiennement, qu'il y a forcément eu un problème au niveau du contrôle et de la gouvernance de l'entreprise », a renchéri Olivier Lelong, délégué syndical CFDT.
Par Jules BONNARD