Isabelle Giordano veille sur la fondation et les activités de mécénat de BNP Paribas, groupe aux 193 000 salariés. Elle se définit comme une vigie de la démocratie et du vivre ensemble.
À près de 60 ans, Isabelle Giordano se voit encore journaliste même si cela fait plus de dix ans qu’elle a quitté France Inter. Après six ans à la tête d’Unifrance, pour la promotion des films français à l’étranger et un détour par le pass culture, elle est depuis 2021 la déléguée générale de la fondation BNP Paribas, en charge du mécénat. Après le covid, elle s’est tournée vers les fondations Obama et Bill-et-Melinda Gates, mais c’est Antoine Sire, directeur de l’engagement d’entreprise de la banque, et grand cinéphile, qui l’a convaincue de le rejoindre. « Je cherchais la fondation qui avait le plus de pouvoir d’agir, dit-elle. Être journaliste peut être un sacré pouvoir au service de l’intérêt général. »
Journaliste ? Si elle n’exerce plus cette profession depuis longtemps et reconnaît qu’elle ne s’est jamais sentie l’âme d’une reporter (« Je n’ai jamais porté le gilet à poches, je suis allé une seule fois à Sarajevo et j’ai eu peur »), Isabelle Giordano se revendique du « civic journalism », loin d’un « journalisme de contestation » qui, selon elle, « ne fait pas beaucoup avancer les choses ». Elle n’est d’ailleurs pas tendre avec la presse française qu’elle juge « la plus déprimée au monde » avec ses « médias anxiogènes ».
« Petite AFP »
À BNP Paribas, l’ex-présentatrice du Journal du cinéma, sur Canal+, puis de Service Public sur France Inter, tente de créer une « petite AFP » en faisant intervenir des chercheurs, des artistes ou des auteurs. Elle a fondé pour cela « Impact(s) », une plaquette-magazine où elle interviewe William Keo, photoreporter spécialiste des conflits et de l’exclusion, pendant qu’Antoine Sire échange sur la notion d’engagement avec Margaux Benn, journaliste au Figaro et Prix Albert Londres 2022.
Une rencontre avec la « leadeuse d’opinion et autrice » Camille Aumont Carnel est l’occasion de décliner les actions en mécénat du groupe contre les injustices sociales : un QG de l’égalité des chances à Marseille, le soutien au tiers lieu L’Ascenseur à Paris en faveur de l’inclusion, le Projet Banlieues tourné vers l’éducation et l’emploi dans les quartiers populaires, le mentorat pour les jeunes de milieux modestes, la colocation solidaire aux mille chambres par an, les voyages scolaires dans le 93 dont 55 000 élèves ont bénéficié, la lutte contre les violences faites aux femmes ou encore l’accueil des réfugiés.
Au global, BNP Paribas consacre plus de 74 millions d’euros par an à son activité de mécène, dont 15 millions pour l’Ukraine. L’action passe par le soutien à des associations que la déléguée voit comme des « nouveaux corps intermédiaires » qu’elle veut aider à « prendre le pouvoir ». « Je choisis les associations qui ont de l’impact », ajoute-t-elle, en ciblant plus les jeunes défavorisés, les femmes battues et les réfugiés. Pour elles, elle fait venir Forest Whitaker ou Vincent Lindon.
« La voix des sans voix »
Après les émeutes urbaines, elle veut agir en créant par exemple avec So Good un guide des acteurs de proximité « pour aller voir les futurs Nahel ». Elle entend défendre à travers sa fondation « la voix des sans voix » et se pose en « transmetteur, en bridge builder ». Son job ? Passer des messages et mettre en avant des solutions, quitte à faire bouger les lignes dans « un pays plein de contradictions qui a besoin d’être bousculé ». Fière de son métissage italo-guadeloupéen, elle fustige une France maurrassienne « où il y a beaucoup de racistes et d’antisémites » tout en louant une autre France de « profs dévoués, de gens engagés » : « C’est pour cela qu’on est en alerte rouge dans les trois ans », confie-t-elle. Avec d’autres fondations, elle songe à aider la démocratie en soutenant la lutte contre la désinformation d’une « fachosphère très puissante ».
Celle qui avait Omar Sy comme stagiaire à Canal+ a créé « Cinéma pour tous » en 2006, et qui a fait connaître, sur France Inter, Irène Frachon, la lanceuse d’alerte du Mediator, se définit comme une « vigie ». Elle voit sa fondation comme « un outil de soft power » mais aussi comme un « levier de transformation » de la société. L’entreprise est-elle la meilleure arme pour cela ? Elle parle de « philanthropie énervée », cite les grands apôtres de la paix qu’elle a rencontrés comme Sœur Emmanuelle ou Desmond Tutu. Et relate son expérience de terrain, avec Banlieues Santé, qui montre que l’image nourrit la réalité : « Souvent, on me dit que ce dont on a besoin c’est d’espoir, de fabricants de récits et de désirs. »
Elle-même reconnaît avoir évolué sur le monde de l’entreprise qu’elle a critiqué, mis en doute si nécessaire, en faisant notamment appel à UFC-Que Choisir ou 60 Millions de consommateurs dans Service Public. Elle assume aussi ses « ménages » ou prestations tarifées au service d’organisations qui lui ont valu d’être brocardée dans Les Nouveaux Chiens de garde, un film de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat. Pour elle, c’était un moyen de « rentrer à l’intérieur des boîtes ». Aujourd’hui, c’est encore de l’intérieur qu’elle entend mener le combat. En précisant : « Je fais de l’information, pas de la com, et je suis dans la direction de l’engagement ». Journaliste toujours ?
Parcours
1963. Naissance à Fontenay-aux-Roses.
1982-1986. Sciences Po Paris.
1991. Coprésente Bouillon de culture avec Bernard Pivot.
1991-2002. Le Journal du cinéma, Canal+, présentatrice, rédactrice en chef.
2002. Présente Le Fabuleux destin de… France 3.
2006-2011. Présente et produit Service Public, France Inter.
2008. Présente Paris-Berlin, le débat, Arte.
2013. Directrice générale d’Unifrance.
2019. Présidente non exécutive du comité stratégique du pass Culture.
2021. Déléguée générale de la Fondation BNP-Paribas.