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[Tribune] L'écriture inclusive, en publicité, ne coûte pas plus cher et pourtant, elle a un impact positif non seulement sur sa réception par les audiences féminines mais aussi en termes de créativité et même de souvenir publicitaire. Alors pourquoi s'en priver ?

La publicité contribue à changer nos représentations du monde. Capable de nourrir des stéréotypes, comme la fameuse ménagère, elle peut aussi forger les imaginaires et renverser nos préjugés avec autant de force. Aujourd'hui, les panneaux publicitaires commencent à nous montrer des femmes au milieu d'un chantier ou au volant d'un bus. Mais si le genre des images change, le genre des mots, lui, reste à la traîne

Le langage inclusif, nouvelle frontière de l’inclusion en publicité

Le langage inclusif est l’ensemble des méthodes qui permettent de rendre visibles les femmes dans le langage en refusant la règle de grammaire selon laquelle «le masculin l’emporte sur le féminin». Vous avez certainement entendu parler de la méthode qui anime le plus les débats, le point médian, ce signe de ponctuation qui permet, à l’écrit uniquement, de créer des abréviations en réunissant féminin et masculin comme dans «étudiant·es» ou «avocat·es», de la même manière qu’on écrit M. pour abréger «Monsieur».

Mais il y a bien d’autres façons de s’exprimer en inclusif, certaines très discrètes avec des formulations où le genre n’est pas marqué (comme «l’équipe», «le personnel enseignant» ou «les artistes»), d’autres plus visibles («les lectrices et les lecteurs», «les auditeurices», le fameux point médian). Quel est donc le rapport entre langage inclusif et publicité ? C’est un rapport d’étonnement : lutter contre les stéréotypes de genre par l’image paraît évident mais la réflexion sur le genre des mots peine à émerger en communication alors qu’elle devrait être un enjeu majeur pour les publicitaires. Pour attirer l’attention du monde de la communication, il faut dépasser la question éthique de l’inclusion pour aller sur le terrain de l’efficacité publicitaire.

S’assurer de toucher son audience 

L’argument fondamental qui doit convaincre que le langage inclusif a un intérêt en publicité n’est pas idéologique ni stylistique mais scientifique : quand on utilise le masculin dans la langue, les femmes se reconnaissent moins dans les messages. Depuis 40 ans, les psycholinguistes testent, expérimentent, vérifient et parviennent toujours à cette même conclusion : on a beau savoir que «les musiciens» peuvent représenter un groupe de femmes et d’hommes, notre cerveau, lui, va spontanément associer le genre grammatical masculin aux hommes. Quand on demande à des gens de citer «deux écrivains ou écrivaines célèbres», on obtient trois fois plus de noms de femmes que quand on demande de citer «deux écrivains célèbres», selon un sondage mené en ligne par Google et Mots-Clés, dans le cadre de l’étude L’écriture inclusive en France en 2021 - Observatoire de l’opinion et des interrogations.

Quand on rédige des offres d’emploi au masculin, les femmes postulent moins. Quand on parle de métiers au masculin, les jeunes filles se projettent moins. En tant que publicitaire, si une partie de la cible est féminine, utiliser systématiquement le genre grammatical masculin, c’est très concrètement prendre le risque que les femmes soient moins sensibles à la publicité, qu’elles se sentent moins concernées. Dommage, quand on sait l’importance des femmes dans la décision d’achat, de limiter l’impact de sa publicité en ne faisant pas le simple effort d’utiliser des formulations inclusives.

Booster la créativité, le prérequis de l'efficacité

Utiliser le langage inclusif en publicité signifie-t-il le recours systématique au point médian ou à des énumérations longues et lourdes comme «les consommateurs et les consommatrices» ? Bien sûr que non ! Et c’est aussi ce qu’on apprend quand on a une pratique quotidienne du langage inclusif, au travail comme à la maison. Parler et écrire en inclusif, c’est booster sa créativité. Car s’exprimer en inclusif, ce n’est pas écrire tout au masculin puis «traduire» en ajoutant un -e par ici, un nom féminin par là. C’est repenser les formulations pour aller à l’essentiel, c’est s’interroger vraiment sur ce qu’on cherche à dire, c’est faire preuve de précision plutôt que de se laisser porter par les automatismes du langage au masculin dit générique. On peut voir le langage inclusif comme une contrainte, certes, mais on sait que les contraintes peuvent améliorer notre créativité en nous forçant à prendre un problème différemment, à changer de perspective.

Prenons un exemple concret : une publicité pour promouvoir l’abonnement à un magazine en ligne où l’on voit un groupe (deux femmes, un homme) avec la légende «Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter». On peut évidemment aller vers un basique «Seules nos lectrices et lecteurs peuvent nous acheter» (avec un accord de proximité entre «seules» et «lectrices»). Mais on peut aussi penser à «On ne se vend pas, sauf à notre lectorat», qui apporte la force de la rime ou encore «pour nous lire, il faut nous acheter», avec deux infinitifs qui neutralisent. Ces formulations ne sont pas exactement équivalentes, certes, mais l’expertise des métiers de la création publicitaire doit permettre d’imaginer des propositions fortes, remarquables, efficaces et percutantes sans passer par l'automatisme du genre grammatical masculin. Quand on sait qu’au moins 50% de l’efficacité d’une publicité, c’est sa créativité, à en croire l'étude Creativity is business, de Kantar France pour l'AACC et Media Figaro, cela vaut le coup de s’intéresser à tout ce qui peut la booster. 

Amplifier le souvenir publicitaire

Les formulations inclusives peuvent être très discrètes et passer complètement inaperçues mais certaines peuvent être très visibles. On le voit, de plus en plus de marques utilisent le point médian en affichage, comme récemment Klarna avec sa campagne «Pressé·e d’acheter, pas de payer», mais aussi dans leur nom comme Sapé·e (seconde main pour femmes et  hommes) ou le magazine Paulette, qui est devenu Paul.e. Pourquoi ? On peut espérer que c’est avant tout une question de valeurs et une manière très concrète de mettre en pratique leur engagement pour l’égalité de genre tout en mobilisant la puissance de la publicité comme potentiel vecteur de transformation sociétal et de changement des représentations.

Mais dans un contexte où ce point fait polémique, c’est aussi une manière efficace d’attirer l’attention, et pourquoi pas de la retenir. On parle beaucoup de guerre de l’attention : or le point médian est un élément graphique relativement récent (on n’en parlait pas ou peu en France avant 2017, il y a à peine 6 ans) qui interroge et interpelle. De la même manière, on voit de plus en plus émerger des typographies inclusives, comme celles promues par la collective (sic) Bye Bye Binary, qui sont des expérimentations artistiques où l'on crée de nouvelles lettres mêlant a et e par exemple, dans des formes qui sont autant de terrains de jeux graphiques qui auraient toute leur place en publicité. 

Le meilleur ROI pour rendre ses campagnes inclusives

Il y a fort peu de briefs aujourd’hui qui ne mentionnent pas la volonté des annonceurs que leurs campagnes représentent la diversité de leur audience. Et on observe, même empiriquement, qu’on progresse sur la représentation visuelle même s’il y a encore beaucoup à faire. Mais étonnamment, les grands oubliés de l’inclusion dans les campagnes, ce sont les mots. Combien de campagnes où il y a manifestement un effort pour que les personnes représentées ne se ressemblent pas toutes mais où l'on parle systématiquement au masculin ? Combien de campagnes où l'on voit l’image d’une femme avec en surimpression un texte qui commence par «pour tous ceux qui…» ?

Si les budgets d’une production publicitaire peuvent être importants et varier significativement en fonction du contexte économique d’une entreprise, les mots, eux, sont toujours au même prix et il ne coûte pas plus cher d’écrire en inclusif. Or, l’impact, lui, est concret. Si on raisonne en pur ratio coût-bénéfice, utiliser le langage inclusif dans une campagne ne coûte rien de plus mais rapporte en précision du ciblage de l’audience, notamment féminine, en créativité, en souvenir publicitaire. Pourquoi s’en passer ? Maintenant, le plan d’action : former le monde de la publicité et en premier lieu les métiers de la création aux enjeux et aux outils du langage inclusif, lancer des campagnes sur des supports variés en employant toutes les méthodes disponibles, et A/B tester pour mesurer l’impact des créations inclusives. Qui s’y met ?

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