[Tribune] Comme Mario Draghi, alors président de la BCE, l'a montré en 2012, en pleine crise de la zone euro, la communication des banques centrales modernes peut suffire à mener les taux et l’économie là où ils doivent aller. Un peu comme un footballeur devant le but adverse.
« Si vous avez compris ce que je viens de vous dire, c’est que je me suis probablement mal exprimé. » « Dans le cadre de notre mandat, la BCE est prête à faire tout ce qu’il faudra pour préserver l'euro… Et, croyez-moi, ce sera suffisant. » Vingt ans séparent ces deux formules, prononcées par deux gouverneurs de banque centrale, Alan Greenspan, le sibyllin président de la FED dans les années 1990 durant une période de tensions sur les marchés financiers, et Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, en juillet 2012, en pleine crise de la zone euro.
Le premier est emblématique d’une longue période où la confiance dans les banques centrales reposait sur leur expertise à la limite de l’ésotérisme. Le deuxième, d’une phrase puissante, solennelle, rythmée comme une incantation, est resté célèbre et a contribué à sauver l’euro il y a 20 ans, inaugurant ainsi une nouvelle phase de la communication des banques centrales modernes : l’ère de la communic-action.
Avant, être imprévisible et incompréhensible était le gage de leur haut niveau de compétence. Il fallait surprendre les marchés pour être efficace. Maintenant, il faut au contraire être clair. Les marchés, comprenant la trajectoire assignée à la politique monétaire, la font advenir. Plus besoin de faire varier les taux d’intérêt ou d’injecter des liquidités de manière inattendue : la forward guidance mène les taux et l’économie là où ils doivent aller. Ce n’est pas de la magie, c’est de la communication !
Mervyn King, gouverneur de la Bank of England, a donné un nom à cette stratégie : la « théorie Maradona des taux d’intérêt ». Imaginez, la « théorie Mbappé des taux d’intérêt » expliquée par le gouverneur d’une banque centrale étrangère. Face à l’équipe britannique, le dieu argentin du football de l’époque, Diego Maradona, avait marqué un but mémorable en Coupe du monde à Mexico City, grâce aux anticipations de l’équipe anglaise (le marché), qui s’attendait à ce qu’il avance vers la gauche ou vers la droite : il a tiré tout droit.
Combien a coûté la bombe atomique annoncée du « whatever it takes » et du programme d’achats illimités de titres destiné à lutter contre les spéculateurs jouant la mort de l’euro ? Zéro. Juste la magie du verbe, l’influence. Car le monde entier avait compris que Mario Draghi ne renoncerait pas.
À l'écoute des ménages
Mais la crédibilité d’une banque centrale, ça se construit. Une petite phrase vaut des milliards si elle prend place dans un long chemin de statistiques fiables, d’enquêtes de terrain, d’outils de mesure performants : l’expertise, l’indépendance et l’écoute sont la clé. Les banques centrales ne s’adressent plus seulement aux professionnels de la finance, mais à l’ensemble des acteurs de notre économie. Leur discours ne peut donc plus être seulement technique, et elles doivent entendre les messages du public tout autant que faire passer le leur. Quand 40% des ménages français pensent que l’inflation est égale ou supérieure à 10% (à un moment où elle est légèrement supérieure à 5 %), ou lorsque selon leur âge ou leur niveau d’étude, les gens situent l’inflation à des niveaux très différents : si le taux perçu est inexact, à nous d’analyser ce que cette perception signifie.
Ce ne sont plus uniquement les marchés qui décryptent le langage des banques centrales, ce sont ces dernières qui s’adaptent à la compréhension des ménages et des entreprises, acteurs de l’économie. La démocratie y gagne, ajoutant un défi supplémentaire pour la communication.
Désormais, les banquiers centraux expliquent et s’expliquent. La politique monétaire est descendue dans l’arène, car le public a soif de tout comprendre : les vaccins, les crypto-actifs, et même les taux d’intérêt ! Comme les abeilles, les communicants des banques centrales ont un nouveau maître : le public.